Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.*
Albert Camus
Mal nommer les gens, c’est ajouter à leur malheur sur terre.
Le Syndicat des immenses
Ne pas pouvoir nommer les malheurs du monde, c’est être incapable de les dénoncer.
Le Syndicat des immenses
*Peu importe ici si Camus n’a pas exactement dit ça.
Pour rallier davantage de personnes à la cause des immenses, il faut savoir bien décrire leur réalité, méconnue des escapés, et se donner, quand ils font défaut, les mots nécessaires pour y parvenir. Tel est l’objectif principal du Thésaurus de l’immensité.
Ce faisant, les immenses s’arment aussi pour mieux se défendre sur le champ de la bataille des mots, où règne la novlangue néolibérale, laquelle, pour mieux frapper, lisse le langage, multiplie les euphémismes et, scrupuleusement, un à un, vide de leur charge politique forte les mots ayant appartenu en son temps au vocabulaire de la gauche.
Les premiers vidéos-mots, qui entendent populariser l’usage de ces néo(sans)logismes, sont visionnables ici.
Le Thésaurus de l’immensité, publié en mars 2024 chez La Lettre volée, comprend, outre les 200 mots inventés par le Syndicat des immenses, des textes littéraires et des jeux linguistiques utilisant ces mots.
- abolitionniste : adj. et n. (acronyme d’Activiste Buté et Opiniâtre Luttant Intensément contre ces Tristes Individus qui Omettent par Nigauderie ou Négligence d’Imputer le Sans-chez-soirisme aux Turpitudes de l’État). Personne qui milite pour l’éradication du sans-chez-soirisme. 1. L’État ne peut pas tout, certes, mais il ne peut pas ne pas tout faire pour que tout le monde ait un chez-soi. OK : tu es abolitionniste. Pas OK : tu es fatalâche. 2. Foi d’abolitionniste, l’« état social actif » ne doit pas activer les plus vulnérables mais s’activer lui-même ! C’est la passivité de l’état qui est responsable du sans-chez-soirisme !
- allomorphisme : n.m. Propension à estimer que telle situation, inenvisageable, inacceptable, insupportable ou invivable pour soi, est envisageable, acceptable, supportable ou vivable pour l’autre. 1. Les immenses sont pour la plupart des ex-escapés, mais, par allomorphisme, on fait comme si l’immensité leur était innée, et donc intrinsèque ou consubstantielle. 2. L’allomorphisme, ou « altruisme à géométrie variable et versatile », frappe chacun en propre et se retrouve inévitablement dans les politiques sociales.
NB. Ce nouveau sens du mot s’ajoute à son sens chimique.
- ambifarde : adj. Qualifie une immense hésitant entre dissimuler sa féminité à des fins de sécurité et l’exposer pour attendrir, voire séduire, ou visibiliser la vulnérabilité et provoquer l’empathie. 1. L’expression « harcèlement de rue » a ouvert les yeux sur un phénomène sous-estimé. Très bien. Mais, « ambifarde », c’est beaucoup plus grave. Tu es tiraillée, en fait. être une proie peut te sauver, tu te rends compte ? 2. Qu’on est ambifardes signifie qu’aucune tenue n’est idéale. Les mecs à la rue ont pas ce problème.
- amerdriter : v. Estimer ne pas mériter sa situation déplorable, même si on reconnaît, peut-être, avoir pris une mauvaise décision ou fait un choix malheureux. 1. OK, j’ai merdé, mais la merde dans laquelle je suis, c’est inhumain. Oui, j’amerdrite, grave ! 2. L’immense qui amerdrite pose une question éminemment politique : qui a merdé, lui ou la société ? Mieux : comment décidons-nous, sociétalement, d’y répondre ? Sa réponse à lui est claire : la société.
- analpabête : adj. Qualifie une personne numériphobe mais ne souffrant d’aucun problème mental ni d’aucune déficience intellectuelle. 1. Numériphobe analpabête cherche travail exigeant à fortes responsabilités. 2. Je suis analpabête mais pas analphabète, pigé ? Halte aux clichés stigmatisants !
- animense : n. Immense dont l’« animalité » serait plus prégnante et, du coup, l’« humanité » plus estompée, que chez les escapés. 1. Autant immense est politique, autant animense est injurieux. 2. L’animalisation des sans-chez-soi, qui les réduit à des êtres de besoins et non de désirs, est logique dès lors qu’ils sont vus comme des animenses.
- asbloiter (quelqu’un) : v. Se dit d’une association sans but lucratif qui fait travailler dans des conditions indignes, qu’il s’agisse de la tâche demandée, des horaires et/ou de la rémunération, des personnes dans l’incapacité juridique de se défendre. 1. Faut être belge, évidemment, pour comprendre le mot asbloiter. Une ASBL est une association sans but lucratif. 2. Nous, les insenséjours, on liste les organisations qui nous asbloitent. Mais certaines, on peut difficilement faire sans.
- aspectable : adj. Qualifie une personne estimée suffisamment présentable pour être respectée. 1. Si un de mes assistants sociaux reconnaît ne travailler qu’avec des immenses aspectables, je le vire aussi sec ! 2. Pour moi, désolé, le sans-chez-soi qui ne se respecte pas assez lui-même est indigne d’être aidé. J’ai connu la rue et sais combien rester aspectable est parfois difficile, mais y a un minimum.
- aspiraphobie : n.f. Obsession, marquée à droite, d’éviter tout « appel d’air » et de les craindre par-dessus tout. 1. L’aspiraphobie conduit, par exemple, à dégrader, jusqu’à l’indignité, les conditions d’accueil des migrants. Comme si, en décidant de migrer, ces piètres conditions pesaient dans la balance ! 2. Les niches et autres opportunités de profits capitalistiques aspirent l’argent des investisseurs cupides, et tout le monde trouve ça normal. Mais quand des personnes, obéissant à la même logique, décident de migrer, moins pour l’argent que pour leur vie même, on les accuse d’être des profiteurs ! Contradiction ou désuniversalisme ? Les deux se retrouvent dans le concept d’aspiraphobie.
- assuivader (s’) : v. Trouver refuge dans la consommation d’alcool, de drogues ou de médicaments. 1. Ne pas juger, moraliser, condamner l’immense qui s’assuivade n’est pas si compliqué. Sauf pour lui-même. 2. Il m’arrive, oui, de m’assuivader, comme vous de frauder le fisc. On est quitte.
- autruchisme : n.m. Désigne la propension, chez les immenses comme chez tout le monde, à appliquer la politique de l’autruche et à ignorer les événements (personnels, financiers…) qui peuvent pourtant avoir des conséquences plus dévastatrices pour eux. 1. Il a reçu plus de dix lettres de rappel pour ses factures, mais ne les a même pas ouvertes. Du pur autruchisme, qui a contribué à la perte de son chez-soi. 2. Par autruchisme, j’ai attendu trois mois avant d’aller consulter mon courrier au CPAS. J’ai loupé une super offre de relogement.
- blablaphobe : adj. Qualifie une personne qui ne supporte aucun blabla, se méfie des déclarations théoriques ou politiques sans effet sur le terrain, suspecte des tentatives d’enfumage derrière les beaux discours. 1. On ne naît pas blablaphobe, on le devient à force d’entendre tant de baratineurs. On veut du concret, pas de la propagande. 2. Quand on sait combien les immenses sont blablaphobes, le projet d’une « Université d’été des immenses » constitue un challenge… immense !
- bureaucrature : n.f. Système tatillon, rigide et sans-cœur qui oblige, quand bien même c’est inutile, éreintant ou illégal, de produire des documents administratifs en tout genre et à répétition. 1. C’est la folie ! On vit en pleine bureaucrature ! 2. Les plus fragiles sont évidemment les moins bien armés pour se défendre contre la bureaucrature.
- burn-in : n.m. Synonyme de « burn-out de rue ». 1. Survivre sans chez-soi est un travail à temps plein, particulièrement épuisant, et une source de stress permanente. Et les moments de quiétude ou de déconnexion sont très rares. D’où le burn-in bien connu de beaucoup d’immenses. 2. Le burn-in, comment oser en parler quand on est accusé de glander toute la journée ?
- cacawetter (se) : v. Pousser la déconsidération de soi jusqu’à l’autodestruction ou l’autosabotage. 1. Les immenses qui se cacawettent ne sont pas tous accros aux drogues ou à l’alcool, mais beaucoup le sont. 2. J’ai pris un temps fou pour comprendre que je me cacawettais depuis mon adolescence, en fait, bien avant de tomber à la rue.
- calmerveux·se : adj. et n. Qualifie une personne qui, sans considération pour la gravité de la situation d’un immense, abuse de « Calmez-vous, s’il vous plaît ! » ou autres formules du genre. 1. Je fuis comme la peste les assistantes sociales calmerveuses ! Elles se protègent elles-mêmes alors qu’elles sont payées pour nous sortir de la merde où on patauge. Et en nous faisant péter un câble à coups de « Monsieur, calmez-vous ! », ces petites bourges ne prétendent plus, après, travailler avec nous. 2. Le mot calmerveux permet magnifiquement de définir le « travailleur sociétal » : c’est un travailleur social jamais calmerveux, parce que, de prime abord, il partage la colerrance de l’immense.
- caméléoner (se) : v. Dissimuler sa propre immensité. 1. Se caméléoner, ça peut prendre un temps fou ! 2. Douche, vestiaire, coiffure, etc. Notre mission, c’est permettre aux gens de se caméléoner.
- chair-à-boulot : n.f. Personne précarisée dont l’existence permet aux travailleurs sociaux d’avoir un travail salarié. 1. Je suis de la chair-à-boulot et faut pas croire qu’on m’a un jour dit merci ! 2. La première fois qu’une SDF s’est présentée comme de la chair-à-boulot, j’ai pas compris.
- chair-à-colloque : n.f. Personne précarisée dont l’existence est, pour des étudiants, des chercheurs ou des intellectuels, matière à articles, mémoires, thèses ou colloques, et, partant, directement ou indirectement, à rémunérations. 1. Une équipe de sociologues m’a fait ténougner deux heures durant. Je me suis sentie comme de la chair-à-colloque. Ils m’ont pompée, littéralement. 2. C’est assez cocasse que le même Syndicat des immenses crée chair-à-colloque et organise tous les deux ans des « Universités d’été des immenses ».
- chair-à-subsides : n.f. Personne précarisée dont la fréquentation d’une association permet à celle-ci de prétendre à des subsides. 1. On m’aide, OK, mais ça va dans les deux sens : faut pas oublier qu’on est aussi de la chair-à-subsides ! 2. En France, on ne dit pas chair-à-subsides, mais chair-à-subventions.
- charitaliser : v. Décréter que les valeurs de l’immense ne pèsent guère dans l’aide qui lui est apportée. 1. Végétarien ou non, halal ou non, cru ou cuit, avec ou sans gluten, peu importe ! Pour certains, faut surtout pas « faire le difficile » ! L’aide alimentaire, c’est là où ça charitalise le plus. 2. Est-ce possible d’aider sans, tôt ou tard, fût-ce par-devers soi, charitaliser ?
- chipisseru·e : adj. Qualifie une personne contrainte de faire ses besoins dans l’espace publique. 1. On n’est pas chipisserus par destination ou par choix, mais faute de toilettes publiques en suffisance… et parce que tous les lieux d’accès publics ne sont pas encore des ZIR ! 2. Je rassure les bobos et autres escapés fêtards alcoolisés au sortir de chics boîtes de nuit : chipisseru·e n’a pas été forgé pour vous. Soulagez-vous entre deux voitures car, à vous, on trouvera toujours des circonstances atténuantes.
- colerrance : n.f. Colère où la part purement psychologique est indémêlable d’un vécu révoltant dans l’immensité. 1. Colérique, lui ? Sans doute, mais, là, c’est autre chose : c’est de la colerrance. Et quand tu connais son histoire… 2. Pas facile d’être psy dans le social. C’est pas sur les bancs de l’université que tu apprends à gérer la colerrance des bénéficiaires. Mais, c’est clair, leur souffrance est politique.
- comploiteux·euse : adj. Qualifie un immense qui, vu que le sans-chez-soirisme n’est pas une fatalité, est fondé à se demander si la persistance du phénomène s’expliquerait par quelque sombre complot. 1. La Finlande a divisé le sans chez-soirisme par trois ans en douze ans. Mais en Belgique, on ne fait [quasi] rien ! être comploiteux, c’est être rationnel. 2. Aucun des 20.000 réfugiés ukrainiens sans chez-soi qui sont arrivés en Région de Bruxelles-Capitale ne s’est retrouvé à la rue. Pour ne pas être traité de complotiste, le comploiteux crie au désuniversalisme.
- créalpolitik : n.f. Stratégie politique qui, prenant le contre-pied de la realpolitik, 1) se méfie des contraintes présentées d’entrée de jeu et soi-disant insurmontables car basées sur l’« objectivité des faits », la « réalité des chiffres » et le « verdict des experts », 2) refuse les faux dilemmes paralysant toute imagination, 3) rejette la logique des « enveloppes fermées » sans qu’on sache par qui et pourquoi et 4) questionne les hypothèses ayant présidé au choix des alternatives vis-à-vis desquelles on devrait se positionner. Bref, la créalpolitik s’oppose à tout ce qui, au nom de l’efficacité, verrouille le débat avant même son lancement et fait passer au second plan les considérations de principe, de morale ou de dignité. 1. Des logements ou des espaces verts ? Un peu de ceci ou un peu de cela ? Les deux, mon capitaine ! « Oui, mais, c’est pas possible… », nous rétorquent-ils. Eh bien, qu’ils se débrouillent ! Au Syndicat des immenses, on pratique la créalpolitik sans le savoir depuis longtemps ! 2. La créalpolitik à la sauce du Syndicat, c’est un mémorandum qui tient en une phrase : l’udéskif, point barre, et que ça saute !
- débléder : v. Passer d’un village à un autre village, s’installer dans une petite ville pour aussitôt en changer. 1. Y a les immenses citadins indécrottables et les autres qui, un moment, saturent, se cassent, quitte à débléder. 2. Bientôt deux ans que je déblède. Sans regret. Ça me convient mieux. Après, on verra. Chacun gère au mieux son absence de solution.
- débrouillance : n.f. épatante débrouillardise propre aux immenses. 1. La mendicité est seulement l’arme la plus visible − et donc la plus décriée, stigmatisée, criminalisée − dans l’arsenal de notre fière débrouillance. Mais on détient mille autres stratagèmes ! 2. Les escapés font rimer débrouillance avec incivilités, et nous, avec survie. On est vachement malins, en fait. Et chacun a ses astuces, ses tuyaux, ses bons plans… ses « bonnes pratiques », comme on dit chez les escapés !
- décairisé·e : adj. Qualifie une personne précarisée. 1. On a inventé ce parfait synonyme de « précaire » pour mieux y faire entendre le défaut de care, vu que ce concept est aujourd’hui à la mode. 2. J’ai obtenu que l’un des deux exemples d’utilisation de « décairisé » dans le Thésaurus mentionne que le mot a été validé à une voix près !
- décanniveler : v. Sortir de la rue, retrouver un logement. 1. Plus le temps passe, plus se décanniveler est compliqué. Le bon sens voudrait de ne jamais laisser personne à la rue deux nuits de suite. La vitesse de la dégringolade est foudroyante. 2. Trois associations ont mis dans leur rapport d’activité qu’elles avaient décannivelé… la même personne ! Ce n’est pas abusif, mais ça fausse les statistiques.
- déchèqueter : v. Dévaloriser quelqu’un ou soi-même, à cause de son immensité, réelle ou supposée. 1. Se sentir déchèqueté est la plus grande souffrance des immenses. 2. Difficile de survivre dans des conditions de plus en plus exécrables et de ne pas se déchèqueter à la longue… mais j’y suis arrivée !
- déconjoindre : v. À cause du « statut de cohabitant » réduisant les revenus dits de remplacement, s’interdire de vivre en couple, dans une colocation ou un projet d’habitation solidaire. 1. On a déjà dû déconjoindre mais les contrôles abusifs dans notre vie privée n’ont pas cessé pour autant, au contraire ! 2. Déconjoindre, c’est vivre séparés, non par choix, mais par nécessité financière.
- déficitomane : n. Une personne en manque chronique du strict nécessaire à une vie décente. 1. Pour moi, on devient déficitomane pour deux raisons : faute de droits (comme un sans-papiers) ou par auto-dilapidation, auto-gaspillage, auto-sabotage (comme une personne dépendante). 2. Entre déficitomanes, on se comprend au quart de tour.
- délogerté : n.f. Déconnexion totale et juridiquement validée entre l’expulsion domiciliaire d’un·e locataire et la perspective de son (non-)relogement. 1. La délogerté, quelle insane légèreté sociétale ! 2. Quand tu la vis en vraie, la délogerté te semble inconcevable, mais, insensiblement, les professionnels de la question t’embarquent dans leur logique clivée : le « social » arrive, au mieux, dans un second temps, une fois le « juridique » ficelé. Qu’est-ce qui empêche d’inverser la vapeur ?
- déloguer : v. Décider de retourner à la rue, de requitter son logement, ou se comporter de manière à le perdre. 1. J’ai délogué trois fois. La pression, les factures, la solitude, trop dur pour moi… 2. Arthur est content dans son nouveau logement, mais je le crains, il déloguera bientôt… L’art des travailleurs en Housing First, c’est mille astuces pour que la personne ne délogue pas… C’est un peu comme les cures de désintox : éviter la rechute… Terrible comparaison.
- demendier : v. Demander, supplier ou mendier, au lieu d’exiger, imposer ou forcer. 1. Sur moi, comme militante, la découverte du verbe « demendier » a agi comme une vraie – et salutaire ! − claque ! 2. J’ai remarqué : moins ils demandent, plus ils s’estiment en droit d’exiger. Une manière de ne pas demendier ?
- désescaper : v. Prendre en compte le fait que, non seulement des escapés, mais aussi des immenses, ont accès à tout ce qui est « public ». 1. à chaque groupe de pression sa croisade. Pour vous, il faut dégenrer la ville. Pour nous, il faut la désescaper. Et on ne pense pas qu’aux « dispositifs anti-SDF » et autres arrêtés anti-mendicité, loin s’en faut ! Vous aussi, les escapés, êtes source de « nuisances ». 2. On n’a pas réussi à désescaper les directives « Confinement obligatoire », puis « Couvre-feu à 22h », en y prévoyant une exemption pour les sans-chez-soi, monstrueusement « oubliés ».
- désingulariser : v. Sublimer une considération singulière en y décelant les éléments pertinents pour un propos plus général. 1. Pas anodin que le néosanlogisme désingulariser ait émergé au Syndicat des immenses. Clairement, leur vécu, souvent dévorant, surgit d’emblée ou très vite dans les conversations. Et tout l’art, précisément, est de voir en quoi il est exemplaire ou symptomatique d’une problématique affectant semblablement d’autres personnes. Pas toujours facile psychologiquement, mais capital, politiquement, au sein d’un syndicat. 2. Mieux que quiconque, les immenses savent combien les « généralisations » peuvent être violentes, abusives et stigmatisantes. D’où : désingulariser.
- désistant·e social·e : n. Assistant·e social·e qui méconnaît la législation sociale, l’explique mal et/ou ne l’applique pas totalement, ou imparfaitement. 1. Sur les règlements collectifs de dettes, j’en connais plus que ma désistante sociale ! 2. Y a des désistants sociaux qu’on se demande comment ils ont obtenu leur diplôme. À moins qu’ils fassent exprès de faire de la rétention d’information.
- désuniversalisme : n.m. Affirmation ou croyance selon lesquelles l’unité fondamentale du genre humain n’existe pas, et, par extension, attitude ou comportement implicitement basés sur cette affirmation ou croyance, comme le deux poids, deux mesures, l’arbitraire, la géométrie variable. 1. Le désuniversalisme a éclaté au grand jour, dans toute l’Europe, quand on a observé le magnifique accueil réservé aux réfugiés ukrainiens. On s’est dit : on est où, là ?… J’en profite pour dire que cet accueil a démontré comme jamais la pertinence de la distinction immense/escapé. En effet, les réfugiés ukrainiens, sans chez-soi à leur arrivée, n’étaient pas des immenses, mais des escapés tombés du jour au lendemain dans l’immensité et sans que leur faute puisse être invoquée. Et pour eux on a fait (magnifiquement) le maximum, alors qu’on fait le minimum pour ces autres sans-chez-soi que sont les immenses. 2. Les immenses, dixit le Syndicat des immenses, sont victimes d’un désuniversalisme disproportionné.
- désuniversel·le : adj. Qualifie une situation qui enfreint, délibérément ou non, le principe d’universalisme. 1. Des attitudes désuniverselles, on en subit, nous les immenses, régulièrement. On ne nous traite pas comme les autres. C’est le deux poids, deux mesures. 2. Avec « désuniversel », le Syndicat des immenses pointe le substrat des injustices, à savoir l’inégalité entre les hommes.
- détemporiser : v. Perdre la notion du temps, ne plus avoir de repères temporels au-delà du court terme. 1. Le problème, pour ceux qui détemporisent, c’est de s’imaginer dans l’avenir, de définir un projet, ce qu’on leur demande tôt ou tard. 2. J’ai vécu 7 ans à la rue mais je n’ai jamais détemporisé.
- dévilliser (se) : v. Se dépayser en bougeant de ville en ville et non de pays en pays, faute de moyens financiers ou faute de papiers en règle. 1. Moi, que dévilliser rime avec civiliser, ça me plaît ! 2. Les gens savent pas à quel point se dévilliser peut être dépaysant.
- digirectal·e : adj. Qualifie toute situation faisant l’impasse sur les personnes n’ayant pas accès au numérique. 1. La société digirectale est en bonne voie et sa violence est sans égal. On ne peut que refuser en bloc la digitalisation tous azimuts. Le Syndicat des immenses en a fait un sticker, avec un joli doigt d’honneur (doigt et digital étant étymologiquement liés). 2. On va pas se mentir, « digirectal » est un clin d’œil au slogan « Quid de ceux qui l’auront toujours dans le cul ? ».
- dilapivader : v. Dépenser l’essentiel de son revenu mensuel en quelques nuits à l’hôtel, pour un city trip ou un gros achat qui fait plaisir. 1. Il dilapivade, puis il fait la manche. C’est comme ça qu’il trouve son équilibre mental. 2. Les gens, ils comprennent pas. C’est pas qu’on gère mal notre budget : on dilapivade, c’est tout. C’est une manière de soupaper. Parmi d’autres.
- dispaporer : v. Disparaître dans la nature, du jour au lendemain, sans prévenir, pour une durée indéterminable, même pour les proches. 1. Karim a de nouveau dispaporé, on avait pourtant fixé un rendez-vous crucial pour lui. Et ceci explique peut-être cela. 2. Je dispapore, en moyenne, une fois par an. Parfois 3 jours, parfois 3 mois. Ma manière de soupaper ?
- duplimmence : adj. Qualifie une personne duplice dans son rapport avec les immenses, tantôt empathique, solidaire et soutenante, tantôt réprobatrice, rejetante et accusatrice. 1. Mon mec est une caricature de duplimmence : il peut donner une pièce à un mendiant et en dire des horreurs dix mètres plus loin. 2. Le jour où tu vois un immense être duplimmence envers un autre immense, tu vois soudain l’humanité en face, en gros… en immense !
- dysitoyant·e : adj. Qualifie une situation ou un dispositif qui contribue au sentiment de disqualification politique de quelqu’un. 1. Pour beaucoup, rien n’est plus dysitoyant que la numérisation galopante de la société digirectale ! 2. L’immensité, c’est la survie, laquelle est dysitoyante en soi. Cela explique l’importance d’un Syndicat des immenses, et aussi que beaucoup d’immenses, pris par mille urgences, n’ont pas d’énergie à y consacrer.
- édroité·e : adj. et n. Qualifie une personne n’ayant pas activé tous les droits auxquels elle peut prétendre, faute d’information sur ces droits, faute de pouvoir les rendre effectifs, ou par renoncement mi-volontaire, mi-désespéré. 1. On ne compte plus les études sur le « non-recours » : les édroités constituent une chaire-à-colloque idéale ! 2. Un immense édroité, c’est presque un pléonasme, exception faite des rares superbenoys. Les bénéfices que l’on peut retirer d’un droit tombent, au mieux, un jour plus ou moins lointain, or dans la survie de l’immensité, on court par définition au plus pressé.
- égolitaire : adj. Qualifie la personne qui, non par égoïsme ou manque de solidarité, mais parce qu’elle est dans une situation de grande précarité, privilégie le chacun-pour-soi radical. 1. Facile d’être altruiste quand on en a les moyens ! Si t’es pas égolitaire, c’est que t’es pas dans la merde. 2. On est amis tant que l’autre n’est pas un poids, sinon ciao bonsoir ! Le maître-mot de l’égolitaire, c’est : priorité à soi.
- 1. éjacter (s’) : v. (du latin jactare, « jeter »). S’interdire d’entrer dans un lieu, par peur d’en être aussitôt dégagé pour cause d’immensité visible, que cette peur soit, ou non, fondée. 1. J’en vois qui s’éjactent, pourtant je les accueillerais avec cordialité́, pour aller aux toilettes par exemple. 2. À la fin, tu t’éjactes sans t’en rendre compte, sans vraiment le décider, c’est devenu naturel, pour ainsi dire. En tout cas, le fameux « Venez comme vous êtes ! » ne nous concerne pas.
- 2. éjacter (s’) : v. (de l’argot jacter, « parler »). Renoncer à prendre la parole, du fait de la conviction, fondée ou non, que, émanant d’un·e immense, elle sera discréditée, ignorée ou incomprise. 1. Dans les réunions brassant des publics différents, beaucoup d’immenses, OK pas tous, s’éjactent, c’est triste. La sociologue Miranda Fricker appelle ça l’« étouffement testimonial ». 2. Entre immenses, je suis plutôt bavarde, mais, sinon, je m’éjacte. Mes mots ne font pas le poids, ne sont jamais pris en compte. Quoi que je dise, en fait, ça ne change rien.
- éluctabilité : n.f. (du latin eluctabilis, « qu’on peut surmonter en luttant »). Ce qui n’est pas une fatalité est une éluctabilité. 1. Même si l’éluctabilité du sans-chez-soirisme n’était pas démontrée, la morale (ou la conscience politique) exige que l’on fasse comme si ! 2. Inversons la charge de la preuve : aux fatalâches de démontrer que l’éluctabilité du sans-chez-soirisme est une utopie, une chimère, une illusion ! Qu’ils mettent d’abord tout en place pour qu’il n’y ait plus de personnes sans chez-soi (y a du boulot !) et on verra bien après s’ils ont raison ou pas.
- éluctable : adj. Ce qui n’est pas inéluctable est éluctable. 1. Qui aurait dit il y a 20 ans que la stigmatisation des homosexuels ou le harcèlement sexuel dont les femmes sont victimes, par exemple, étaient éluctables ? 2. L’origine du mot le dit bien : c’est en luttant que les personnes sans chez-soi arriveront à convaincre que leur situation est éluctable. Mais comment lutter quand on dépense l’essentiel de son énergie à survivre, tant physiquement que psychiquement ?
- emmerdire (s’) : v. Se sentir coupable de son immensité, se l’expliquer en s’en considérant totalement responsable, considérer n’avoir que ce qu’on mérite. 1. Tout est fait pour qu’on s’emmerdise. Y a des regards, ou des phrases, qu’on n’oublie pas, qui vous enfoncent dans la honte de soi. 2. Au Syndicat des immenses, on veut politiser l’immensité, ce qui n’empêche pas certains de continuer à s’emmerdire.
- emploiter (quelqu’un) : v. Tendance chez certain·e·s immenses à instrumentaliser, voire manipuler, les escapé·e·s en général et les travailleurs sociaux en particulier. 1. OK, nous emploiter au maximum s’explique aisément, dans un contexte de survie. Mais, quand même, un « Merci » ou un « Désolé, excusez-moi », est-ce trop demander ? 2. Je supporte qu’elle m’emploite, je suis d’ailleurs payé pour endurer ça, et c’est une manière de garder le lien.
NB. Comme impouvance, le néologisme emploiter n’a pas été créé par le Syndicat des immenses. Il lui a été imposé par des escapés et communiqué « pour info » : le début du Thésaurus de l’escapitude ?
- encascaper (s’) : v. Se dit d’un·e immense s’encanaillant chez des escapés. 1. Immense propre sur lui et bien élevé cherche grands bourgeois délurés, fantasques et rigolos pour s’encascaper un soir, un week-end, et encore plus si affinités. 2. S’encascaper est une manière de soupaper.
- enchésoyer (s’) : v. Se créer avec trois fois rien un semblant de chez-soi. 1. Un chez-soi de fortune, ou plutôt d’infortune, n’est pas un authentique chez-soi. C’est criminel de dire qu’ils « habitent » la rue ou qu’ils ont « choisi » d’y vivre. Ils s’enchésoient, c’est tout. 2. Gaston n’a pas eu d’autre choix, pour sa survie physique et mentale, que de s’habituer tant bien que mal à la rue, de trouver ses marques dans ce contexte hostile et d’y installer ses repères, de revoir ses ambitions à la baisse et de s’en donner d’autres, minuscules et héroïques en même temps, au point, in fine, d’« habiter » son absence de chez-soi et d’envisager difficilement, voire pas du tout, de chambouler la fragilité extrême de cet équilibre obtenu de haute lutte. En un mot : il s’est enchésoyé.
- enferdettement : n.m. La spirale infernale de l’endettement. 1. Il y a enferdettement quand la personne ne va pas réintégrer un logement car elle sait que les huissiers vont débarquer une semaine plus tard. 2. Je préfère en baver dans l’enferdettement et vivre dans la clandestinité que de payer les pensions alimentaires à mon ex !
- englouter : v. Aider en enfonçant, étouffant, aliénant. 1. Aider sans englouter, c’est parfois la quadrature du cercle. Surtout, faute de moyens, quand tu enchaînes les rendez-vous, comme à l’usine. 2. Le processus est lent et c’est faux de dire qu’on s’en rend pas compte. On se laisse peu à peu englouter, par confort ou habitude, même si on perd en autonomie, en indépendance, en dignité…
- enruer (s’) : v. Décider, par tactique, de ne pas se caméléoner. 1. S’enruer, c’est pas pour faire pitié mais pour avoir la paix. Vous avez déjà demandé du feu à un SDF, pardon, à un immense ? Lui, on le fait pas chier. 2. Je suis d’accord qu’il faut un mot, mais l’explication est trop schématique. « Décider, par tactique », c’est rarement aussi simple. On constate parfois après coup qu’on s’est enrué.
- épouvantailler : v. Représenter un épouvantail pour les escapés insuffisamment dociles, corvéables, conformistes. 1. C’est le rôle social réputé des immenses, dans une approche fonctionnaliste discutable : épouvantailler les immenses en puissance. 2. Si c’est établi qu’on épouvantaille les gens, qui, par là, ne la ramènent pas trop, c’est un travail, plutôt pénible il faut le dire, qui mériterait une juste rétribution !
- escapé·e : n. (acronyme d’Enclos·e dans le Système mais Capable Aisément et Périodiquement de s’Échapper). C’est la dénomination des personnes non-immenses, de celles et ceux qui, littéralement, s’en sortent, ont la possibilité de se ménager des portes de sortie. 1. En forgeant « escapé », le Syndicat des immenses envoie un message politique fort : les personnes communément estimées les plus « intégrées » le sont en fait le moins. Ceux qui vantent le système ont les moyens, à commencer par un chez-soi, pour s’en protéger. 2. Derrière « escapé », il faut entendre : arrêtez d’exiger de nous des « preuves d’insertion » ! Les immenses sont dans le système H24, ils ne sont pas « désaffiliés » mais « trop affiliés » à leur goût… sauf quand ils soupapent… Les escapés, c’est des fugitifs, en fait ! NB. Ne pas confondre avec lesdits « escapistes », la fuite pratiquée par ces derniers étant, par définition, destructrice.
- escaper : v. Décompresser, se déconnecter, se ressourcer, se vider la tête, se distraire, se détendre, se relâcher, partir, se faire plaisir, et en avoir les moyens, à commencer par un chez-soi. 1. Nous, les immenses, on dit que les escapés escapent, mais eux, les escapés, ils disent qu’ils vivent leur vie. 2. En gros, les immenses soupapent et les escapés escapent, c’est ça ? Tu as tout compris, et j’ajoute que escaper rime avec liberté… que, quand on soupape, c’est parfois au détriment de son bien-être à long terme ou de sa santé, et c’est tout le contraire quand on escape.
- escapitude : n.f. Biotope des escapés (c’est-à-dire des personnes jouissant d’un authentique chez-soi), truffé d’échappatoires de tous ordres. 1. Escapitude rime avec plénitude, certes, mais le bonheur de fuir a quand même quelque chose de tordu. 2. Pionnière réponse du berger à la bergère : le Syndicat des immenses a listé les nuisances causées aux immenses par l’escapitude des escapés !
- escapocentré·e : adj. Qui tient de l’escapocentrisme. 1. La principale mission des fameux « experts du vécu » est de pointer les procédures et dispositifs trop escapocentrés et, partant, inappropriés aux immenses. 2. Un exemple de débilité escapocentrée ? L’obligation pour les sans-chez-soi, quand bien même ils vagabondent souvent d’une zone à l’autre, de démontrer leurs attaches au territoire de la commune où est situé le CPAS à la porte duquel ils frappent pour bénéficier du RIS (revenu d’intégration sociale) !
- escapocentrisme : n.m. Tendance, consciente ou non, à valoriser la manière de penser et d’agir des escapés et à l’étendre, si ce n’est l’imposer, aux immenses. 1. L’escapocentrisme est, sans conteste, une déclinaison particulièrement violente et sournoise de l’anthropocentrisme… En tout cas, l’escapocentrisme pointe le fait que ledit « Contrat social » est un contrat léonin : les escapés s’octroient, littéralement, la part du lion. 2. L’allomorphisme et l’escapocentrisme ne seraient-ils pas les deux faces de la même détestable pièce ?
- étoiler (s’) : v. Préférer dormir à la rue tant l’abri proposé est rebutant, sale, bruyant, dangereux ou non-individualisé 1. Ce parc est agréable pour s’étoiler, il est vraiment tranquille. 2. Je ne suis pas la seule à m’étoiler ici tous les soirs.
- éventailler (quelqu’un) : v. Raconter des salades à une personne vulnérable, lui faire des promesses en l’air, jurer que sa situation va s’améliorer. 1. Plus les élections approchent, plus les politiciens nous éventaillent ! 2. Inutile de m’éventailler, je sais bien que tout est bloqué. Vous pensez que je ne peux pas l’entendre ?
- excédomane : n. Personne qui possède des choses en excédent, dont elle n’a pas besoin, qu’elle les ait obtenues par héritage, en travaillant dignement ou en exploitant les autres. 1. Devenir excédomane est un rêve qu’on nous a inculqué et c’est le cauchemar de la planète. Et le plus gros pavé dans la mare d’un monde plus juste. 2. Au Syndicat des immenses, on distingue l’immense et l’escapé. Moi, je préfère le déficitomane et l’excédomane.
- excédomanie : n.f. Propension à posséder des biens dont on n’a pas, ou plus, usage, ni besoin. 1. Les ressorts sociaux de l’excédomanie sont clairs : de toute éternité, les élites font étalage de ce dont elles n’ont d’autre usage que la démonstration de leur pseudo supériorité. 2. à quand une loi permettant de déposséder les excédomanes de leurs biens inutiles ? L’excédomanie est un crime contre la sobriété obligatoire et contribue au réchauffement climatique !
- excommuné·e : adj. Qualifie une personne qui, faute d’un chez-soi, n’est attachée officiellement à aucune commune. 1. Tu vis à la rue mais, pour toucher ton revenu [d’intégration sociale], tu dois prouver des « attaches » à la commune dont tu sollicites l’aide ! T’es excommuné et tu dois faire… comme si tu l’étais pas ?! 2. Ah ! si tous les excommunés se mettaient ensemble… Plus facile à dire qu’à… Mais non, il y a le Syndicat [des immenses] !
- exproprier (s’) : v. À la longue, après des années de vie à la rue, s’être tellement désocialisé, voire déconnecté d’avec soi-même, déclarer préférer rester à la rue plutôt que (tenter de) réintégrer un logement. 1. Au journaliste qui se plaît à dire que certains SDF ont choisi de vivre à la rue vu qu’ils s’exproprient, il faut retirer la carte de presse ! 2. Les bons résultats de la méthodologie du Housing First prouvent que s’exproprier n’est pas une fatalité.
- extractivisme : n.m. (acronyme d’Expropriation Xénophile des Témoignages, Réalisations ou Actions, Chargés de Traumatismes, des Immenses par des Visiteurs Intéressés, qui les Spolient de leurs Malheurs Existentiels). Tendance à déposséder les immenses de leur vécu, en les recyclant dans des films, des récits ou des essais qui échappent à leur contrôle. 1. C’est la VSP (Voix des sans-papiers) qui a génialement détourné le mot… Une victime d’extractivisme se sent subitement toute nue et, c’est très pervers, « déshabillée » par quelqu’un, souvent un artiste, parfois un militant, à qui elle a accepté de se confier parce qu’il voulait faire entendre sa voix de victime. Au final, il t’a utilisée à des fins personnelles, fussent-elles artistiques ou politiques. 2. Parade contre l’extractivisme : exiger, car on le propose très rarement, d’être payé, et pas des clopinettes… Ta vie m’intéresse ? Moi, c’est ton fric !
NB. Ce nouveau sens du mot s’ajoute à son sens courant.
- famencrouée: adj. et n.f. Qualifie une femme dans une insécurité physique et psychologique quasi permanente, parce que sans chez-soi. 1. Les femmes à la rue sont toutes famencrouées ? Sans aucun doute. Encore que le mot n’est pas clair : on parle d’insécurité factuelle ou ressentie ? 2. Famencrouée, ça veut dire toujours sur le qui-vive, ne serait-ce qu’inconsciemment, jamais 100% paisible et détendue 24 heures durant. En même temps, « toujours », c’est exagéré. Là, maintenant, autour de cette table, ça va… On s’en reprend une ? C’est ma tournée.
- fantomiser : v. Réduire quelqu’un à une place dans une queue, à un nom dans une liste d’attente, à un numéro de dossier. 1. Faudrait classer les associations selon qu’elles fantomisent un peu, beaucoup ou jamais, accidentellement ou systématiquement, au début ou à la fin. 2. Fantomisé et atomisé, ça rime, et ce n’est pas un hasard.
- fatalâche : n. Désigne une personne qui préfère penser que le sans-chez-soirisme, par exemple, est une fatalité et qui décide de ne pas remettre en question sa conviction. 1. Tant qu’il y aura des fatalâches, la société pourra se contenter d’éviter que les personnes sans chez-soi crèvent comme des chiens sur la voie publique ! 2. Le sans-chez-soirisme a encore de beaux jours devant lui : 99 % de la population actuelle est fatalâche et donc défaitiste. La vieillesse, la bêtise, la mort ou encore l’hiérarchisme sont des fatalités, mais pas le sans-chez-soirisme !
- fillecible : n.f. Femme ayant intégré le fait que des faveurs sexuelles, consenties ou non, font (ou feront) partie de son parcours de vie sans chez-soi. 1. Le terme « fillecible » laisse penser qu’il ne concerne que des femmes jeunes, ce qui est faux. Disons qu’elles doivent être un minimum « désirables », avec tous les guillemets qui s’imposent. 2. Voici le pire scénario qui attend la fillecible type : a) elle rejoint, par exemple, un groupe de squatteurs, en majorité des hommes, b) l’un d’eux la prend sous son aile, pour la protéger des autres, c) ils ont une relation et elle tombe amoureuse, d) la relation se dégrade, se complique ou se termine, e) il devient clair qu’elle va devoir coucher avec d’autres hommes du groupe, f) son ex-amoureux/protecteur finit par la prostituer.
- frentable : adj. Sociétalement ou idéologiquement inenvisageable, bien que financièrement rentable. 1. La fin du sans-chez-soirisme est financièrement rentable mais sociétalement frentable : on ne peut s’empêcher de jouir de punir les sans-chez-soi en les laissant se dégrader à petit feu quand bien même les reloger soulagerait les finances publiques. 2. Au Syndicat des immenses, on pense plus loin que le bout de notre propre nez (qui s’appelle « fin du sans-chez-soirisme ») : on ne compte plus les combats frentables : l’argent n’est le nerf que des guerres que l’on accepte de mener !
- frixcuser (se) : v. Accompagner sa demande de perception de l’argent dû de détails, parfois personnels, sur la dépense impérieuse que la somme va permettre. 1. Tout travail mérite salaire, point barre ? Avec beaucoup d’immenses, c’est un peu plus compliqué que ça : ils se frixcusent. Un peu comme si le travail accompli ne suffisait pas pour justifier la paie convenue, qu’il fallait en plus expliquer l’achat qui sera rendu possible. Ils nous font ainsi entrer dans leur vie privée, alors qu’on n’a rien demandé. On veut juste les rétribuer. 2. Moi, ce que j’entends dans frixcuser, c’est s’excuser d’exister.
- frodopathe : n. Fraudeur social, abuseur du système, profiteur professionnel, tire-au-flanc. 1. Je ne me considère pas un frodopathe. Je me débrouille, oui, et slalome un peu, comme tout le monde, quoi ! 2. Beaucoup de dispositifs législatifs partent du présupposé que les allocataires sociaux sont des frodopathes, sinon de fait, au moins en puissance.
- galéruer : v. Enfoncer dans l’immensité. 1. à la longue, c’est le système social lui-même qui te galérue, t’handicape, te rend inapte et inadaptable, ou carrément barré. 2. L’immensité a la forme d’une spirale et la couleur de la nuit. Soit tu t’en sors, vite, soit tu te galérues, tout aussi vite.
- garmidiotie : n.f. Rafle à visée de « nettoyage » de zones fréquentées par des immenses, entre autres personnes sociétalement indésirées. 1. L’ignominieux transfert des sans-chez-soi à l’extérieur de Paris en vue des jeux olympiques de 2024 ne relève pas, au sens strict du terme, de la garmidiotie, parce qu’il a été annoncé (et vertement dénoncé par les associations). Mais la violence, au nom de la sacro-sainte « image » de la ville, est fondamentalement la même. 2. La déontologie du Syndicat des immenses le contraint de citer ses sources d’inspiration : à ses oreilles militantes résonne, dans garmidiotie, « gare du Midi et ses alentours », là où, fin août 2023, des arrestations surprise, musclées et massives eurent lieu, mettant dans un même panier (à salade) des sans-chez-soi inoffensifs, des insenséjours égarés, des pickpockets avérés et des dealers impénitents. Tout ça pour atténuer le « sentiment d’insécurité » des escapés traversant en coup de vent la gare et sans égard aucun pour l’« insécurité existentielle » des immenses qui y trouvent un semblant de refuge. On met en balance une « ambiance malsaine » (sic) et des vies rendues inhumaines. Et si les autorités se rengorgent parce que les résultats sont au rendez-vous, les effets du nettoyage, à savoir le déplacement un peu plus loin des populations ciblées, ne fait la une d’aucun média.
- gésinguliser : v. Dans une conversation sur un thème général et non personnalisé, brandir subitement son vécu singulier, ou, à l’inverse, généraliser son vécu singulier. 1. Je m’insurge contre ces néosanlogismes qui, contrairement à notre but affiché, ne sont pas spécifiques à l’immensité. Car, purée, tout le monde gésingulise, et les immenses pas plus que les escapés ! 2. Des années que j’anime des groupes de parole, et, le plus compliqué à gérer, franchement, c’est ceux qui gésingulisent. C’est leur ressenti qui les submerge.
- glairobscur·e : adj. Flou, imprécis, vague, ambigu, s’agissant de critères, de conditions ou de droits. 1. L’arbitraire est la plus violente des injustices. Nous, les insenséjours, on exige d’en finir avec les critères de régularisation glairobscurs. 2. Quand tes conditions d’existence sont suspendues depuis des lustres à une décision incertaine, discrétionnaire et quasi aléatoire, en un mot : aux ressorts glairobscurs, tu peux perdre la boule !
- grand-soirisme : n.m. Nom donné au moment où, dans une ville, une région ou un pays, plus personne n’est sans chez-soi (par allusion au « Grand Soir » des communistes). 1. Le grand-soirisme, on ne l’attend pas en brûlant des cierges, on y travaille pied à pied. 2. Moi, le grand-soirisme, j’y crois pas. Y aura toujours des bras cassés et des sans-dents.
- guémoveré·e : adj. Qualifie une personne devenue psychiquement incapable de croire encore à tout scénario de sortie durable et digne de la rue ou de l’immensité. 1. Guémoveré, c’est plus profond que défaitiste ou pessimiste. Je parlerais de lassitude ontologique. Le clin d’œil à « game over » est assumé. 2. Oui, si j’ai bien compris le concept, on peut dire que j’étais guémoveré. Deux ans pour changer de logiciel.
- habitrer (quelque part) : v. Faute d’un chez-soi, passer la nuit à l’abri chez quelqu’un, dans un centre d’hébergement d’urgence, ou encore, par exemple, dans le sas d’entrée d’une banque. 1. C’est là que j’habitre depuis des semaines. 2. Dormir dans un parc, c’est pas vraiment habitrer.
- héroskwaire : n. Personne fière de tenir héroïquement dans sa situation précaire. 1. Faut l’entendre raconter son histoire : un véritable héroskwaire ! 2. Pour un héroskwaire, renouer avec une vie « normale » dans un vrai logement, c’est loin d’être évident.
- hiérarchisme : n.m. Attitude ou politique visant à souligner, classer et hiérarchiser les différences, au lieu des ressemblances, entre les individus, avec, pour conséquence ultime, le fait que toutes les vies, et a fortiori les opinions, n’ont pas la même valeur ou légitimité. 1. Foi d’immense, l’hiérarchisme est partout, même entre nous. C’est dévastateur. Plus délétère que l’élitisme. On n’imagine pas l’énergie déployée pour se sentir « au-dessus » de la personne juste « en dessous ». 2. Inutile d’espérer circonscrire l’hiérarchisme inhérent à la nature humaine. Comment limiter les dégâts de cette allergie à l’égalité́ ? A minima, en déconstruisant, ou problématisant, l’échelle de valeurs cachée derrière, qu’il s’agisse de la « noblesse », du « mérite », de la « dignité »… et de l’« utilité » aussi ! N’oublions jamais, en effet, l’Article 1er de La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Car il en est pour interroger l’« utilité commune » des immenses (pourtant au centre d’une gigantesque économie)… En soulevant la question du droit à l’« inutilité commune » pour les personnes considérées « indésirables » (mieux : « indésirées »), « malvenues » ou « surnuméraires », les immenses font œuvre de lanceurs d’alerte, de sentinelles, de vigies !
- humirgarder : v. Scanner quelqu’un d’un regard dépréciatif, condescendant ou dégoûté. 1. Les méprivants de rue, excusez la redondance, ils ne nous regardent pas : ils nous humirgardent ! 2. être royalement ignorée ou hautainement humirgardée, c’est la même chose. Le même jugement d’indignité, implacable et sans appel… Je me souviens, un jour, deux femmes passent devant moi comme si je n’existais pas, et j’entends l’une marmonner à l’autre : « Et dire que ça a le droit de vote… »
- hypolicrite : adj. Qualifie un parti ou une personnalité politique, officialisant une promesse ou un engagement ferme sans intention de passer réellement à l’action. 1. Nous, les sans-papiers, oups, les insenséjours, on ne connaît que ça, les hypolicrites politiques ! 2. Calmer le jeu, flatter son image et faire miroiter l’impossible, c’est ça l’ADN hypolicrite des politiques.
- immencipation : n.f. Idéal et objectif psycho-politique d’émancipation compte tenu des contraintes spécifiques à l’immensité. 1. Ah le joli mot ! Mais il ne suffit pas d’avoir inventé l’« immencipation » pour qu’elle se traduise dans les faits. 2. Faciliter l’immencipation est la raison d’être du Syndicat des immenses.
- immenscapé·e : n. Personne qui est un·e immense dans telles dimensions de son existence et un·e escapé·e dans telles autres dimensions. 1. Elle est en logement depuis 5 ans, totalement stabilisée, mais ses années de rue l’ont irréversiblement marquée. C’est l’immenscapée type. 2. J’ai été escapé, puis immense, puis de nouveau escapé. Ça ne fait pas de moi un immenscapé, mais je vois bien le concept. Beaucoup de « gilets jaunes », en revanche, sont des immenscapés, chez qui les deux réalités sont intriquées. Car la frontière est fluctuante et perméable.
- immense : adj. et n. (acronyme d’Individu dans une Merde Matérielle Énorme mais Non Sans Exigences). « Immense » est la dénomination augmentative, et donc ni stigmatisante ni réductrice, desdits sans-abri, sans-domicile, sans-logis, SDF, précaires, mal-logés ou habitants de la rue. 1. Le mot « immense » est plus respectueux, sans conteste, et l’irrespect est ce dont beaucoup d’immenses se disent victimes. Et comme une sorte de titre de noblesse à l’envers… 2. Le mot « immense » n’est pas que du politiquement correct. Il y a un programme politique derrière.
NB. étymologie spontanée d’immense : du préfixe latin négatif in– et du latin mansio, « lieu de séjour » (qui a effectivement donné maison).
- immensicide : n.m. Mort prématurée d’une personne, imputable à son immensité et à la carence des pouvoirs publics. 1. Elle est morte, non d’une maladie incurable, mais du fait de l’incurie de l’État. C’est un cas d’immensicide, sans conteste. 2. On a dénombré 70 immensicides en 2020 dans la Région de Bruxelles-Capitale. Et c’est une estimation basse.
- 1. immensisme : n.m. Terme regroupant toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de rejet, de dépréciation ou de mépris fondées sur l’immensité réelle ou présumée d’une personne. 1. J’ai vu la liste : sexisme, âgisme, racisme, et je me suis dit : et nous ? À quand le tour de l’immensisme ? 2. Moi, victime d’immensisme ? Avec quoi vous venez ? Je veux avoir un logement à moi, pas être une victime. Je ne suis victime de rien… Cela dit, ce néosanlogisme me rappelle le génial slogan qui a émergé avec la mouvance @MeToo : « On vous croit ! » Car on doute aussi a priori des discriminations dont les immenses se disent l’objet.
- 2. immensisme : n.m. Le français propre aux immenses. 1. Lexicalement parlant, les néosanlogismes sont des immensismes. Mais aucun membre ou sympathisant du Syndicat des immenses connaît, utilise ou même comprend tous les immensismes du présent Thésaurus, loin s’en faut ! Mais certains se sont vraiment installés dans leur vocabulaire courant. 2. Tant que nous resterons les seuls producteurs d’immensismes, ceux-ci forment une sous-catégorie des belgicismes.
- immensité : n.f. (acronyme d’Immersion dans une Merde Matérielle Énorme, non Sans Impact sur la Trajectoire de l’Émancipation). L’immensité est le biotope des immenses, c’est-à-dire la survie sans authentique chez-soi, et authentique doit bien sûr s’entendre au sens plein du terme. 1. Il faut des mots nouveaux pour dire les délices de l’immensité, dont les escapés n’ont pas idée. 2. La lecture du Thésaurus de l’immensité devrait être imposée dans les écoles sociales. Il éclaire l’« habitus » (au sens de Pierre Bourdieu) des immenses… quand bien même les immenses sont privés d’une véritable habitation ! NB. Ce nouveau sens du mot s’ajoute aux sens courants du mot.
- immentalisé·e : adj. Qualifie une personne dont la santé mentale s’est dégradée à cause de son immensité. 1. Après tant d’années à la rue, elle n’est pas du tout immentalisée, c’est juste incroyable. 2. Y a les immentalisés et ceux qui se sont retrouvés dans l’immensité à cause de leurs problèmes de santé mentale, ne pas confondre ! Mais au final, il y a ce constat : la santé mentale de beaucoup de personnes sans logement n’est pas bonne.
- immercité·e : adj. Qualifie une personne qui, ne présentant aucun signe extérieur de son immensité, passe inaperçue. 1. C’est par dizaines que vous croisez tous les jours et, sans le savoir, des immenses immercités. 2. Y a certes des détails qui ne trompent pas et les gens vous cataloguent d’un regard, mais ils se gourent parfois ! Être immercitée 7 jours sur 7, j’y arrive pas.
- imméritant·e (escapé·e) : adj. Qualifie un·e escapé·e sans mérite. 1. En réservant « imméritant » aux escapés, le Syndicat des immenses contrecarre la millénaire, détestable et moralisante distinction, toujours perfidement à l’œuvre, entre les « pauvres méritants » et les autres (paresseux, vicieux, profiteurs ou révoltés), alors que les escapés qui mobilisent cette distinction ne l’appliquent pas pour eux-mêmes ! Ce faisant, le Syndicat ne cautionne pas néanmoins la méritocratie et sa violente rhétorique ! 2. Oui, au vu des capitaux dont j’ai hérité de mes parents, je suis clairement une escapée imméritante. Ma fortune est indue… et elle l’est doublement, vu tout ce que l’état met en place pour faciliter mon florissant business !
- immotop : adj. Qualifie la personne qui va tellement mal que, par dissociation et pour survivre à son mal-être, elle ne s’insurge plus, ne se plaint pas, voire déclare aller parfaitement bien. 1. Être immotop permet de ne pas faire de vagues, ou de ne pas remuer le fer dans la merde où l’on est. 2. Je me demande si l’immense immotop est toujours conscient de l’être.
- immuseler (quelqu’un) : v. Discréditer, déconsidérer ou relativiser le point de vue, les opinions, voire les ressentis d’un·e immense. 1. Là-bas, mes émotions, je me les garde. On t’immusèle et ça se sent tout de suite. 2. Avec la fatigue, ou pour me protéger aussi, je m’en rends compte, j’immusèle mes bénéficiaires. J’entends ce qu’ils me disent mais ne les écoute pas vraiment.
- impouvance : n.f. Impuissance d’une organisation sociale ou d’un·e travailleu·se·r social·e face à la situation inextricable d’un·e immense. 1. L’impouvance explique beaucoup de démissions ou de burn-out, et un turn-over important dans l’équipe 2. à rebours de « impuissance », impouvance a le mérite de souligner qu’un·e bon·ne travailleu·se·r social·e n’a aucune velléité de puissance, seulement d’efficacité, avec une grosse dose d’humilité.
- impuriste : adj. et n. Qualifie un immense systématiquement suspecté de faire quelque chose par intérêt personnel. 1. La salariée du Syndicat des immenses fait son travail parce qu’elle est rémunérée. Mais si, moi, je viens à une réunion pour profiter du sandwich gratuit, on me taxe d’impuriste ! 2. Je sens qu’il y a un lien, complexe et très violent, entre l’exigence de pureté (que veut dénoncer le néosanlogisme impuriste) et l’état de nécessité dans lequel sont les immenses… à rapprocher aussi du fait que les immenses sont les seules personnes pour lesquelles on conçoit sans problème, je dirais même spontanément, qu’elles travaillent gratuitement… Parce qu’elles sont indignes d’être dans un « rapport marchand » ?
- inclichable : adj. Qualifie une personne qui ne se retrouve pas dans le portrait-type des personnes de la catégorie à laquelle elle appartient. 1. Je suis un immense, c’est clair, mais tout ce qu’on dit des immenses, c’est pas moi. La mésestime de soi, par exemple, je connais pas. Y a pas plus fier que moi ! Enfant, déjà, j’étais inclichable. 2. Les clichés caricaturent, mais soyons honnête, je m’y reconnais quand même un peu. Je suis moins inclichable que je pensais.
- indigenter (s’) : v. Se sacrifier, se négliger, s’oublier au profit de son (ses) enfant(s), de crainte d’en perdre la garde. 1. Faut pas que je m’indigente trop, car, sinon, ça peut se retourner contre moi. Je l’ai compris, à demi-mots, dans le bureau de la directrice de l’école de la petite. 2. Les femmes s’indigentent plus que les hommes ? Pas sûr.
- indigner (quelqu’un) : v. D’une phrase insultante et sans appel ou d’un regard méprisant (ou, pire, d’un détournement du regard), signifier à quelqu’un qu’il aurait perdu toute dignité. 1. Toucher le fond, c’est donner raison à la personne qui t’indigne. 2. Combien de fois on m’a indignée ! Et chaque fois, je me suis dit : « Pauvre con(ne), si tu savais… » Et j’ai eu raison : je m’en suis sortie. NB. Cet usage du verbe s’ajoute à son usage pronominal.
- inexister (s’) : v. Dévaloriser, déconsidérer ou relativiser son propre point de vue, ses opinions, voire ses ressentis. 1. Comme déconnecté de moi-même, ou connecté en mode négatif, je m’inexistais totalement. Mes émotions devaient être validées par l’autre (mon assistante sociale, en l’occurrence) pour que je les écoute. 2. Celui qui s’inexiste pousse à l’extrême son complexe d’infériorité.
- inexister (quelqu’un) : v. Nier quelqu’un du fait de son immensité et, ce faisant, l’y enfoncer à ses propres yeux. 1. Tu n’as pas fait semblant de ne pas le voir, tu l’as inexisté ! Et c’est ton droit le plus strict, là n’est pas la question. 2. C’est parce qu’on dérange qu’on nous inexiste.
- informerré·e : adj. Qualifie une personne dont les conditions d’existence matérielles et/ou administratives, déjà précaires, s’aggravent parce que les informations à sa disposition, même parfois obtenues auprès de « professionnel·le·s », ne sont pas pertinentes, correctes, complètes ou actualisées. 1. Les professionnels incompétents sévissent partout, mais, pour nous, les immenses, les conséquences peuvent être considérables. D’où notre néosanlogisme « informerré », où se voit bien le verbe errer. Bref, ça rigole pas. 2. La législation sociale est complexe, faut le dire, et elle évolue, et les rumeurs urbaines s’en mêlent. Mais, quand même, le nombre d’immenses informerrés que je rencontre m’effraie. C’est pas normal.
- ingénierie (sociétale) : n.f. Art de répandre, par mille petites touches, détails sensationnalistes, anecdotes choc et chiffres discutables, une conviction collective notoirement infondée. 1. La sociétalogie comprend, bien entendu, la mise au jour de l’ingénierie sociétale, entretenue par des fatalâches de tout poil et responsable de la croyance en l’inéluctabilité du sans-chez-soirisme. 2. Que des travailleurs sociaux, pourtant aux premières loges, s’ingénient (c’est le mot !) à entretenir cette ingénierie sociétale me dépasse. Me révolte plutôt.
- insenséjour·e : n. (acronyme d’Individu Non Sans Excellence, Néanmoins Sans Existence Juridique, Ordonnant donc son Urgente Régularisation). Personne dépourvue d’un titre de séjour. 1. OK ? Vous enregistrez ? On ne dit plus, de grâce, « sans-papiers » ni, pire, « illégal·e », mais insenséjour·e. 2. Tous les immenses ne sont pas insenséjours et tous les insenséjours ne sont pas immenses.
- irréproché·e : adj. Qualifie une personne anticipant le fait que son plus petit écart de conduite ou relâchement sans gravité sera mis sur le compte de son immensité supposée, renforçant le stigmate, confirmant le préjugé, retournant le fer dans la plaie. 1. Les immenses, les immenscapés et les ex-immenses se veulent irréprochés. C’est plus exigeant qu’irréprochables. Tu laisses trois miettes sur la table et sais d’avance le cinglant « Quels cochons, ces immenses ! » qui en résultera. Du coup, les trois miettes, tu les laisses pas sur la table. 2. Les immenses irréprochés, c’est un peu comme « plus catholiques que le pape ». On ne pardonne pas aux immenses ce qu’on tolère sans problème des escapés, à qui on trouve mille excuses…
- jurlejourer : v. Survivre au jour le jour. 1. Tu jurlejoures nuit et jour ! Faut avoir où se poser pour faire une pause et se soucier du lendemain. 2. Je donne l’impression de jurlejourer pour qu’on ne me pose pas trop de questions.
- kafkayer (quelqu’un) : v. Plonger quelqu’un dans un labyrinthe administratif. 1. J’étais paumé et après ils m’ont kafkayé. Comme une double peine. 2. Pourquoi kafkayer les plus désarmés, dépourvus, dépassés ? De quoi veut-on les punir ? Est-ce une manière sadique de les épuiser, de les pousser vers la sortie, d’en venir à bout ?
- lamenteux·se : adj. Qualifie un·e immense considérée exagérément plaintif·ve. 1. « Vous plaignez pas, vous avez un toit. » Tu entends la violence ? D’un côté on s’estime bien généreux de faire le minimum − si ce n’est rien − pour les immenses, de l’autre on les trouve lamenteux. Cherchez l’erreur. 2. Pas d’accord ! Si on entend « menteuse » dans lamenteuse, le masculin doit être lamenteur. Que la parité ne s’applique pas au Syndicat des immenses est… lamentable !
- loterisqué·e : adj. Qualifie une (période de) vie, dont les paramètres essentiels dépendent de la qualité aléatoire, changeante et/ou indéterminée de l’association, du CPAS, du travailleur social, de la juge, etc. sur qui on tombe. 1. Quand tu dépends des autres, ça craint : ta vie est loterisquée et t’as intérêt à tirer le bon numéro. Tu ne te bats plus : tu croises les doigts. 2. Un escapé change d’avocat quand il n’en est pas content. Il n’est pas à la merci du hasard. Sa vie est rarement loterisquée.
- malader (se) : v. Donner une présentation médicale de son problème ou de sa situation. 1. Je ne suis pas toxico (déchéance morale), je souffre d’une dépendance à l’héroïne (diagnostic médical) : en te maladant, tu t’en prends moins, enfin, un peu moins, dans la gueule. 2. Les réacs de droite disent que la personne qui se malade s’irresponsabilise, ne cherche qu’à se disculper, alors que c’est une manière, parmi d’autres, d’essayer de comprendre ce qui lui arrive et dont elle est, quelque part et paradoxalement, la première surprise.
- malotrure : n.f. Raclure humaine agitant le spectre de l’immensité pour arriver à ses fins. 1. La première fois que cette infâme malotrure m’a dit : « Sans moi, poupée, tu serais à la rue ! », j’ai pigé que j’allais morfler. Et j’ai dégusté. 2. Les malotrures, c’est des experts en chantage, des manipulateurs de première et, désolée, le plus souvent des hommes.
- mamimense : n.f. Femme sans chez−soi, avec enfant(s). 1. Pour les mamimenses, des structures spécifiques existent, bien entendu, mais en nombre insuffisant. Pourtant, y a pas d’effet NIMPRE dans ce cas-là ! 2. J’ai longtemps travaillé avec une mamimense, dont l’une des filles est devenue mamimense à son tour, mais l’autre, pas du tout, elle s’est tirée d’affaire, est devenue architecte même. L’histoire de cette famille ferait une super série sur Netflix.
- manger aux quatre vents : loc. Se nourrir à l’extérieur, dans un lieu improvisé et inadéquat, inconfortablement. 1. Tant qu’il y aura des distributions en rue, on sera condamnés à manger aux quatre vents. 2. C’est joli, « manger aux quatre vents », mais c’est la galère. Et l’humiliation.
- marci : interj. Expression polie d’une gratitude en demi-teinte, vu que ce que la personne a reçu, appris, vu, entendu ou compris ne répond pas à ses attentes. 1. Les immenses sont souvent piégés : impossible de protester ou se plaindre si, en face, on se trouve déjà bien gentil d’être là à « offrir »… En lançant avec le sourire un courtois « Au revoir et marci beaucoup ! », on glisse quand même une info. 2. Marci qui ? Marci ce système pseudo social qui vous oblige à dire « Merci » au lieu du « C’est quoi, ce binz ? » qui vous reste en travers de la gorge.
- mariopanette : n.f. Militant·e porté·e par une cause collective et un agenda personnel inavoué, indémêlables. 1. Cette mariopanette place ses pions et utilise notre combat soi-disant commun. Il a le bras long et te lâche dès que tu le remets en question. 2. On me prend pour une mariopanette, je l’ai appris via-via. Ça m’a tuée. Je prête à confusion, peut-être. Mais comment prouver que je n’en suis pas une ?
- MDC : loc. (sigle de « C’est la moindre des choses »). Formule exprimant que l’aide reçue était un droit et non une faveur, fut accordée légitimement et non par la pitié inspirée. 1. La première fois qu’on m’a dit : « Merci… MDC ! », je l’ai mal pris, franchement, m’étant donné beaucoup de peine et le dossier était très complexe. Aujourd’hui, je comprends mieux. Tout ce qui contribue, même par la bande, à rééquilibrer la relation aidé/aidant est bienvenu… J’ai même inventé le sigle YPQ, pour « Y a pas de quoi ! », mais « PQ » prête à confusion, j’ai laissé tomber. 2. Franchement, à un système qui t’a d’abord négligé et trahi, puis, des années plus tard, vaguement secouru, et encore, avec des pincettes et en mettant des gants, franchement, « MDC », c’est encore poli.
- mêmêtrise (garder la −) : loc. Rester la personne que l’on a été, même quand on est devenu·e immense. 1. Je suis la personne que je suis, que j’ai été et que je serai toujours. Tu en penses ce que tu veux, je garde la mêmêtrise, grave ! 2. Un moment, tu ne te reconnais plus… ou découvres ta vraie nature ? En tout cas, tu ne gardes pas la mêmêtrise. L’« autre » guette en soi.
- méprivant (de rue) : n.m. Personne méprisant clairement les immenses. 1. Je lui ai demandé un peu d’argent. Il m’a regardé en se pinçant le nez et s’est éloigné sans rien dire. Un vrai méprivant de rue ! D’autres se croient plus discrets en feignant de ne pas nous voir. Tous les mêmes. 2. Nous aussi, on se complait dans les stéréotypes : la police regorge de méprivants !
- minimense : n. Enfant vivant dans l’immensité. 1. Même le nombre de minimenses augmente. 2. Les minimenses, c’est comme les femmes immenses, ça choque plus, évidemment. Mais l’immensité est un tout, et des lois spécifiques en faveur des plus vulnérables ne suffisent pas, souvent. Et comment mesurer les dégâts psychologiques chez l’enfant d’une séparation de sa mère, par exemple ?
- moindrissant·e : adj. Qualifie une situation ou un dispositif qui contribue au sentiment de déclassement ou de relégation de quelqu’un. 1. Pour beaucoup, rien n’est plus moindrissant que la numérisation galopante de la société digirectale ! On n’y arrive pas et on se sent nul·le. 2. L’immensité, c’est la survie, laquelle est moindrissante en soi. Et tout contribue à convaincre les immenses qu’ils sont des incapables qui ont merdé.
- nécessoité : n.f. Nécessité primordiale, existentielle et ontologique de disposer d’un authentique chez-soi. 1. Le besoin de sécurité ontologique auquel répond le logement selon Peter Marcuse et David Madden (In Defense of Housing, Verso, 2016) a désormais son appellation d’origine contrôlée par le Syndicat des immenses : nécessoité. 2. Tendez bien l’oreille et laissez-la s’amuser : vous entendrez « chez-soi » dans nécessoité.
- nécropolitique : n.f. (emprunté au théoricien du post-colonialisme, politologue et historien Achille Mbembe). Politique consistant, délibérément ou non, à prévoir un minimum de soutiens pour une certaine catégorie de personnes et à opérer un maximum de techniques inquisitrices à leur endroit, comme pour les punir d’être encore vivantes, au point de rendre leur vie difficile, impossible, voire invivable. 1. L’installation durable des immenses dans la survie et leur répudiation sociétale participent clairement de la nécropolitique. Traduction : les immenses doivent se justifier d’exister, ou du moins s’en excuser. 2. L’hiérarchisme, le désuniversalisme, l’allomorphisme et la nécropolitique constituent les quatre piliers du sans-chez-soirisme persistant, malgré son éluctabilité démontrée.
- néglicrade : adj. Qualifie un immense faisant preuve d’une certaine dureté, exprimée ou non, envers un autre immense, estimé défaillant. 1. Rien à foutre d’être traité de néglicrade, mais, pour moi, l’immense qui ne fait aucun effort pour être présentable, il n’a rien à espérer des autres. Y a un minimum de respect de soi. 2. Les immenses se jaugent entre eux, se jugent, se toisent parfois. Se comparer, c’est aussi se valoriser, ou dévaloriser. Mais, de grâce, pas de généralité : ils ne sont pas tous néglicrades !
- néglijuger : v. Prendre une négligence inévitable pour une déchéance constitutive. 1. Gaston, sur son carton, ne demanderait pas mieux que de ranger ses affaires… s’il en avait la possibilité matérielle. Qui sait, peut-être est-il un maniaque de l’ordre ? Arrêtez donc de le néglijuger. D’autant que les escapés bordéliques, et j’en suis un, on ne les déconsidère pas, eux. 2. L’apparence est reine, on le sait, et les immenses encore plus, qui se caméléonent précisément pour ne pas être néglijugés.
- néosanlogisme : n.m. Néologisme inventé par un·e sans-logis. 1. à quelques exceptions près, tous les mots inventés par le Syndicat des immenses sont, par définition, des néosanlogismes. 2. Avec cette foultitude de néosanlogismes, le Syndicat mériterait de figurer au Guinness Book, non ?
- NIMBY : (acronyme de No Immense May Bother You, « aucun·e immense n’est en droit de te contrarier »). Reprise, pour les sujets liés aux immenses, de l’expression « Not In My Back Yard » (« pas dans mon jardin »), qui désigne l’opposition d’une communauté à un projet ou à une infrastructure. 1. Tout le monde soutient les hébergements d’urgence, mais personne ne veut les voir près de chez soi, c’est du pur NIMBY. 2. En déclinant autrement l’acronyme NIMBY, on pointe le fait que le phénomène sociologique n’est pas réservé à des projets matériels mais frappe aussi des humains. Les immenses, on peut juste pas les voir.
- NIMPRE [prononcé nim-prè] : (acronyme de No Investment that May Put at Risk my next Election, « aucun investissement qui puisse miner ma réélection »). Réticence, voire refus de lancer des projets, tout nécessaires soient-ils sociétalement, par peur de perdre des électeurs. 1. NIMPRE est aux politiques ce que NIMBY est aux citoyens. Ce sont les deux faces de la même lamentable réalité. 2. L’« effet NIMPRE », c’est une autre manière de pointer le défaut de courage politique. La fin possible, salutaire et rentable du sans-chez-soirisme butte sur l’effet NIMPRE.
- nullepartout : adv. Évoque le paradoxe de la personne juridiquement inexistante car sans-papiers mais qui multiplie par ailleurs les preuves d’existence officielle dans différents registres (numéro national, mutuelle, carte médicale, etc.). 1. Finalement, j’existe ou je n’existe pas ? Les deux : je suis nullepartout ! 2. Être nullepartout n’est pas vraiment confortable. Y a de quoi devenir fou, parfois, la nuit.
- numériphobe : adj. et n. Qualifie une personne réfractaire, voire allergique, au numérique. 1. Si pas mal d’immenses sont numériphobes, c’est aussi parce qu’ils ont connu une réelle perte d’autonomie depuis l’ère du numérique. 2. Faut pas croire que tous les numériphobes sont des handicapés du numérique : y a aussi ceux qui s’opposent à la déshumanisation induite par la digitalisation de tout.
- oisivalser : v. Jouir d’une énorme liberté, car dégagé, du fait de son immensité, de tout engagement, rendez-vous, responsabilité, échéance, obligation, stress professionnel. 1. On ne va pas se mentir, oisivalser, même si ça ne dure qu’un temps, c’est quand même le pied ! J’en conçois même une forme de nostalgie, parfois. 2. Pour bien oisivalser, faut pas avoir mauvaise conscience.
- optimuscleux·se : adj : Qualifie le travailleur social qui se montre déraisonnablement optimiste concernant la possibilité pour un immense de s’en sortir. 1. Il a l’air d’y croire quand il me pousse à faire des démarches, mais il ne se fait pas davantage d’illusions que moi : il est payé pour être optimuscleux. 2. être optimuscleux, c’est être optimiste pour deux. Le mot disparaîtra quand les loyers seront encadrés par la loi.
- papiérate : adj. et n. Personne parfaitement « intégrée » dans la société, à ceci près qu’elle n’a pas de papiers. 1. Les papiérates ne sont pas des immenses, par définition. Mais ils ne sont pas forcément d’origine étrangère ! 2. Que le gouvernement n’envisage pas la régularisation des insenséjours papiérates, ça dépasse l’entendement. Un papiérate est un contributeur net.
- passivister (quelqu’un) : v. Considérer a priori quelqu’un coupable de passivité, d’oisiveté, d’immobilisme. 1. C’est terrible de se sentir passivisté. Vraiment pas encourageant d’être soupçonné d’être de mauvaise volonté. Et quel cliché ! Nous, quand on ne fait rien, on glande, mais eux, quand ils ne font rien, ils jouissent de la vie ! 2. Ils veulent nous « activer » parce qu’ils nous passivistent. Au lieu d’avancer ensemble vers une solution. On nous fait des procès de non-intention.
- pauvecherté : n.f. Coût de la vie proportionnellement plus important quand on a peu de revenus. 1. à l’escapé qui a son lave-linge perso, une lessive lui coûte, au doigt mouillé et amortissement compris, moins d’un euro. Au salon-lavoir, tu débourses facilement cinq euros. Quand tu réfléchis, tout ce qu’on achète, nous, on l’achète plus cher que les escapés. Ils peuvent acheter en gros, ou attendre que le prix baisse, ou renoncer si c’est trop cher, ou faire jouer la concurrence. La pauvecherté, c’est la quadruple peine. 2. Le phénomène, peu étudié, de la pauvecherté milite en faveur de plusieurs « indices des prix à la consommation ».
- pérempter (se) : v. Baisser les bras, ne plus combattre son immensité, l’accepter comme une fatalité, une malédiction, un destin. 1. C’est difficile à comprendre, mais se pérempter peut être une manière de se préserver, quand on a épuisé « l’énergie du désespoir ». Le contraire du suicide. Un instinct de survie. 2. Je peux rien pour lui, il se pérempte. Quel échec ! Il dit qu’il a tiré le mauvais numéro de la loterie de la vie.
- PIR : n. (acronyme de Personne d’un Inconditionnel Respect). Personne s’engageant à toujours accueillir l’immense avec respect, en particulier, mais pas uniquement, dans les Zone d’Inconditionnel Respect (ZIR). 1. Par définition, un PIR ne te refuse jamais un verre d’eau, ni l’accès aux toilettes. C’est surtout quelqu’un qui ne te rejette pas. 2. Le jour viendra où tous les gens seront des PIR…
- plus-que-rien : n.m. : Synonyme rare d’« immense ». 1. Dans « Nous sommes des plus-que-rien ! » résonne quand même très fort la peur d’être rien, ou considéré comme tel, non ? 2. On n’espère pas que « plus-que-rien » entre dans le vocabulaire courant. On pointe juste le fait qu’on collectionne les mots qui blessent au plus profond, comme moins-que-rien, gens de peu, petites gens, nécessiteux, démunis…
- polichinelleuse : n.f. Femme enceinte et sans chez-soi. 1. Avec polichinelleuse, on passe du « polichinelle dans le tiroir » au « polichinelle sur le trottoir » : admirez la rime ! 2. Positivons : la prise en charge des polichinelleuses permet, parfois, leur remise en logement sans placement de l’enfant.
- polinioré·e : adj. Qualifie une personne qui ne se sent pas du tout représentée dans les instances politiques. 1. Y a des ouvriers, des immigrés, ou des fils de, au Parlement, mais aucun immense, ou fils d’immense. On est poliniorés. 2. Les immenses sont poliniorés pour une raison très profonde : on sait à peine qu’ils existent, on l’oublie le plus souvent, et on en a une représentation simplificatrice, caricaturale et tout à fait superficielle.
- précariche : adj. et n. Qualifie un immense riche sur le papier (détenteur d’une grosse somme sur un compte bancaire temporairement bloqué ou copropriétaire d’un bien en indivision) et/ou dans un avenir plus ou moins proche (futur héritier d’une somme et/ou de biens importants). 1. Les immenses précariches sont-ils moins à plaindre que les autres ? Non, car aucun immense ne demande d’être plaint. Ils demandent juste à avoir accès des logements abordables. 2. Oui, je suis précariche, à moins que je sois déshéritée… En attendant, je tire la langue.
- prisolutionné·e : adj. Qualifie quelqu’un qui, par peur et/ou faute d’énergie, renonce à faire le pas pour se sortir d’une situation critique, alors qu’il le désire par ailleurs et que les conditions sont enfin réunies. 1. J’ai été prisolutionné pendant des mois. Comme si je trouvais un confort, ou une sécurité, à la merde où j’étais ! On sous-estime parfois la violence de la solution. 2. Travailler avec un gars prisolutionné est enrageant. On a tout mis en place, et puis il lâche : « Sorry, je ne suis pas prêt. »
- projouiteur·euse : n. Synonyme de profiteur·euse épuré de toute connotation péjorative. 1. On nous traite de « profiteur », sans mentionner que tout le monde dans le système capitaliste est un profiteur. Alors non, nous disons que nous sommes « projouiteurs » ! 2. Je cherche mon intérêt, où est le mal à cela ? Je suis un projouiteur !
- promizkwitant·e : adj. Qualifie une situation dommageable de promiscuité forcée entre les bénéficiaires d’un service. 1. On se flatte tellement de leur venir en aide qu’on ne s’interroge pas sur la nature promizkwitante de la totalité de nos dispositifs. 2. Je mets plus les pieds là-bas. C’est trop promizkwitant et ça dégénère souvent en bagarres. Et j’ai rien à voir avec tous ces gens.
- régênerrer : v. Dormir ou siester le jour faute d’avoir pu bien dormir la nuit. 1. Ineptie (ou honte ?) bruxelloise : une seule association permet aux immenses de régênerrer. 2. Le médecin dit que régênerrer, à la longue, c’est pas bon pour la santé. Et je confirme.
- révolsurde : adj. Qualifie une situation violemment illogique, aberrante, biscornue, paradoxale. 1. Quoi de plus révolsurde que de considérer le non-logement comme un problème « social-santé » et non d’abord, voire uniquement, comme un problème de logement ? Et pourtant, on en est là. Bravo au Syndicat des immenses de l’avoir dénoncé en haut lieu… dans le sillage des Nations Unies, où le sans-chez-soirisme est l’affaire du « Rapporteur spécial sur le droit à un logement convenable » et non du « Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté » ! 2. On demande aux insenséjours de multiplier les preuves de leur « intégration » et, par ailleurs, on rend celle-ci impossible, et même illégale ! Si c’est pas révolsurde…
- richardeux·se : n. Terme injurieux donné aux escapés ostentatoirement aisés, privilégiés, à des années lumières de tout souci matériel. 1. Les richardeux du samedi soir, un jour, je vais leur faire la fête ! 2. Est-ce que, vraiment, au fin fond de leur (in)conscience sociétale, les richardeux n’ont aucune idée de la violence du spectacle qu’il nous inflige, aussi mortifiante qu’une gifle en public ?
- sahouryen·ne : adj. et n. Qualifie un·e travailleuse·r social·e plaçant, non sans insistance, le bénéficiaire devant un seul choix, à l’exclusion de tous les autres. 1. C’est avec le temps et l’expérience, et la fatigue sans doute et le cynisme peut-être, que je suis devenu sahouryen. 2. Ne va jamais chez cette sahouryenne ! OK, elle connaît son métier, mais ça confine à la maltraitance. « C’est comme ça, ou dégage ! », « Si vous ne signez pas, libre à vous de travailler avec quelqu’un d’autre », etc. En fait, la messe est dite avant de passer la porte.
- sampaplainte : adj. Qualifie une personne qui hésite à porter plainte de peur d’être arrêtée pour présence illégale sur le territoire. 1. L’avocate m’a mise en garde : pour le policier qui m’auditionnera, serai-je d’abord une femme victime de violences répétées ou une femme sans-papiers ? Et le mot sampaplainte a surgi tout à coup dans mon esprit. 2. Les marchands de sommeil savent trop bien qu’on est sampaplaintes !
- sampaxée: adj. f. Qualifie une femme en manque de serviettes hygiéniques. 1. Je me suis assisse à côté d’une immense et lui ai demandé comment je pourrais l’aider. « Je suis sampaxée », m’a-t-elle répondu, gênée. Quelques minutes plus tard, une fois de retour sur le banc avec la boîte de tampons que je lui avais achetée, je décidais de lancer une association entièrement dédiée à cette question. 2. Quand t’es sampaxée, que t’en as partout, que tu sais plus où aller, t’as presque envie de te pisser dessus pour sombrer au plus profond de la honte…
- sans chez-soi : loc. adj. Qualifie une personne privée d’un authentique chez-soi, qu’elle jouisse, ou non, d’un abri temporaire. 1. Les personnes dormant à l’extérieur, mais aussi celles hébergées chez un proche, dans un squat ou une occupation, un centre d’hébergement d’urgence, un hôtel ou une maison d’accueil, elles sont toutes dites « sans abri » alors que leur point commun est d’être sans chez-soi : aberrant ! 2. Certains, par abus de langage, parlent des sans-chez-soi. Le minimum est de dire « personnes sans chez-soi », ou PSC.
- sans-chez-soi : n. Personne sans chez-soi. 1. Les sans-chez-soi avérés, car visibles dans l’espace public, les littéralement « sans-abris », sont la partie émergée de l’iceberg du sans-chez-soirisme. 2. En tant qu’ex-sans-chez-soi, je n’exclus pas, dans les pires scénarios, de me retrouver à la rue. Toi, escapée, voire trescapée, tu ne t’es jamais imaginée dans cette situation. C’est en dehors de ton champ des possibles, et ça change tout.
- sans-chez-soirisme : n.m. Correction lexicale dudit « sans-abrisme », celui englobant, en réalité, la situation de toutes les personnes dépourvues d’un chez-soi et non d’un abri. 1. Le sans-chez-soirisme croît partout où l’on croit qu’il est inéluctable. 2. La fin du sans-chez-soirisme est possible ! Il est éluctable ! Sa soi-disant fatalité, bien enfouie dans l’inconscient collectif, est une contre-vérité éhontée et criminelle !… Mais comprenons bien ce mot « fatalité ». Ça ne dit pas : « Il était écrit que telle personne tomberait à la rue », mais : « Quand cette personne aura retrouvé un logement, il y en aura toujours une autre, après, qui tombera à la rue ».
- sans-journisme : n.m. Incapacité matérielle, parfois physique en plus, de faire quoi que ce soit de sa journée. 1. La journée passe et rien ne se passe. Le sans-journisme peut rendre dingue, mais certains s’en accommodent très bien, à la longue. 2. Marcher est une manière de lutter contre le sans-journisme. Mais on ne peut pas marcher toute la journée !
- scannetrôler : v. Surcontrôler les (futurs) « allocataires sociaux ». 1. Quand scannetrôler a été soumis pour approbation au Syndicat des immenses, des « Ah ! oui ! », « Excellent ! » et « C’est tout à fait ça ! » ont aussitôt fusé de toutes parts. 2. Pour ce deuxième exemple d’utilisation de scannetrôler, on a imaginé faire la longue liste des intrusions dans la vie privée auxquelles s’exposent les heureux bénéficiaires d’aide sociale, pour que les gens se rendent compte jusqu’où ça va parfois, puis, c’est con à dire, on a perdu ça de vue, et puis on n’a plus le temps, toute la matière du Thésaurus de l’immensité devant parvenir à l’éditeur La Lettre volée pour le 30 novembre 2023 à minuit au plus tard.
- secoussister : v. Aider quelqu’un, fort de compétences acquises pendant des études ou des formations professionnelles, notamment juridiques. 1. Tout se tient : on kafkaie les immenses, puis on nous paie, certes chichement, pour les secoussister. Ils sont de la chair-à-boulot, comme ils disent. 2. Plus tu es dans la merde, plus t’en sortir nécessite des compétences que, vu que tu es tombé dans la merde, tu risques fort de ne pas avoir. à l’inverse, moins tu es dans la merde, plus tu risques d’avoir des compétences inutiles, vu que, n’étant pas dans la merde, tu n’as pas l’occasion de les valoriser. N’est-ce pas un monde de fous, qui produit des gens à secoussister, plutôt qu’à simplement aider ?
- simplifage : adj. Synonyme de chronophage pour des actions simples. 1. Quand tu as un chez-toi, c’est facile de prendre une douche. Quand tu es à la rue, ça peut te prendre une matinée entière, c’est simplifage. 2. On me dit : « Fais un CV pour trouver du travail ». Mais quand tu n’as ni ordinateur, ni imprimante, ni connexion, c’est simplifage au possible.
- skizociétal·e : adj. (langage familier). Désuniversel. 1. Total skizociétale, notre société bancale ! Ça clive, divise, sépare. 2. La discussion fut âpre au sein du Syndicat des immenses. D’aucuns préféraient skizocial à skizociétal, d’autres ciseaucial.
- sociétaliser (quelque chose) : v. En faire une « question de société » et non une problématique sociale, expliciter le choix de société implicitement à l’œuvre derrière la situation. 1. Sociétaliser le sans-chez-soirisme, c’est montrer que la société a décidé que des personnes sans chez-soi étaient dans l’ordre des choses, plutôt que se demander si elles ont merdé et/ou joué de malchance. 2. Le verbe fait-diversier existait déjà, il manquait son antonyme : sociétaliser. Le verbe a aussi l’avantage d’interpeller chaque citoyen·ne, alors que son synonyme courant, politiser, pourrait sembler ne concerner que la classe politique… L’adjectif sociétal est, de même, politiquement plus efficace que systémique ou structurel, qui donnent l’impression qu’on ne peut rien y faire.
- sociétalogie : n.m. Science des choix sociétaux, qu’ils soient délibérés, inconscients ou implicites, comme résultante de facteurs corrélés ou indépendants, prévisibles ou aléatoires, externes ou endogènes. 1. « Le sans-chez-soirisme n’est pas un problème social mais un choix de société » est un exemple de production de la sociétalogie, et ce fut le point de départ décisif d’une campagne de sensibilisation collective : L’immense festival, à la faveur duquel est sorti le livre que vous tenez entre les mains. 2. En mettant au jour des choix insoupçonnés aux retombées parfois désastreuses, la sociétalogie permet d’aborder des questions parfois anciennes à nouveaux frais.
- sociétalopathe : adj. et n. Personne souffrant d’un trouble de la conscience politique, caractérisé par une lâche ou égoïste indifférence à l’impact sociétal de ses (in)actions, (in)sensibilités, (ir)réflexions, (in)décisions. 1. Tout le monde est, d’une manière ou d’une autre, sociétalopathe, mais seuls les salauds sont fiers de l’être. 2. Je taxe par la présente de dangereux sociétalopathes ceux qui avalisent l’idée dévastatrice selon laquelle être en non-logement n’est pas un problème de logement.
- sopligé·e : adj. Qualifie une personne qui, faute d’alternative, accède à un centre bien qu’elle n’apprécie pas, dont elle désapprouve, par exemple, le règlement d’ordre intérieur. 1. Ne jamais l’oublier, c’est pas comme s’ils avaient l’embarras du choix. Un bénéficiaire qui passe la porte du service, c’est peut-être qu’il était sopligé. 2. Je supporte pas DoucheFLUX, mais, là, un samedi, 13h30, à Bruxelles, c’est mort : t’es sopligé de te doucher là.
- soultapir (quelqu’un ou quelque chose) : v. Dissimuler un individu ou un phénomène encombrant. 1. Un immense soultapi est un immense sociétalement mort. 2. Pour la saison touristique, vous devez soultapir les mendiants du quartier et tous les autres signes de pauvreté rebutante, qui créent un sentiment d’insécurité dommageable pour le commerce.
- soupaper : v. Avec les moyens du bord aussi limités soient-ils et faute d’un chez-soi (c’est-à-dire d’un refuge protecteur et réconfortant), parvenir à souffler, évacuer, décompresser, se déconnecter, se ressourcer, se vider la tête, recharger ses batteries, changer d’air, se distraire, se détendre, se relâcher, s’évader, se divertir, s’éclipser, s’abstraire, s’effacer, se réfugier, fuguer. 1. Boire est le moins cher moyen de soupaper. Y en a plein d’autres, comme un week-end à la mer. Ou claquer son revenu en 5 nuits d’hôtel. Si tu soupapes pas, tu crèves. Soupaper, c’est goûter l’insouciance… 2. Par définition, les escapés, eux, ne soupapent pas. Parce qu’ils ont un chez-soi et qu’ils ont des vacances, de vrais week-ends et des loisirs. Sans parler du shopping dit récréatif et des « escape rooms » !
- sourvie : n.f. Survie dans des conditions déshumanisantes. 1. À cause de leurs revenus rabotés pour cause de cohabitation, les plus fragiles sont sciemment installés dans la sourvie. 2. Dans la survie, on surmonte tant bien que mal les difficultés matérielles de l’existence. Dans la sourvie, on n’y arrive pas, ces difficultés sont insurmontables.
- sourvivre : v. Durer dans la sourvie. 1. Ils calculent le seuil de pauvreté sous lequel ils nous forcent, après, à sourvivre avec un revenu de misère. Et il faudrait dire merci ?! 2. Je sourvis, tu sourvis, il/elle/on sourvit, nous sourvivons, vous sourvivez et ils s’en foutent, regardent ailleurs ou n’y pensent pas.
- soutraider : v. Se faire aider sans être stigmatisé·e. 1. L’escapé qui sous-traite sa comptabilité à un professionnel ne perd rien de son autonomie et, désormais, c’est pareil pour les immenses : ils ne sont plus aidés, voire assistés, par leurs assistants sociaux, ils soutraident ! 2. C’est dingue qu’un simple mot contribue à préserver la dignité et l’estime de soi. Depuis que je peux dire « Je soutraide », j’ai moins la honte.
- sparadisme : n.m. Politique privilégiant systématiquement les solutions temporaires, au détriment des solutions structurelles. 1. L’officielle « lutte contre la pauvreté » pousse le sparadisme à des sommets inégalés. 2. Les immenses ne manquent pas d’idées pour mettre fin au sparadisme dont ils font les frais.
- squatter (quelqu’un) : v. Le mobiliser à la cause du sans-chez-soirisme à éradiquer. 1. Ce que j’adore dans ce néosanlogisme, c’est la valeur positive donnée au verbe « squatter », comme dans squatter un logement vide, car ça le sort de son « spleen » pour cause d’inutilité ! J’adore citer Edward S. Casey : « There is no place without self and no self without place. » Ou ce sticker que j’ai un jour photographié : « A home without a cat is just a house? A house without an occupant is just a building! » 2. Le cri de l’immense à l’adresse de l’escapé solidaire : « On veut vous squatter ! ». Et le cri de l’escapé à l’adresse de l’immense militant : « N’hésitez pas à me squatter ! »
- stupidisation : n.f. Présomption de facultés intellectuelles inférieures chez une personne du fait de son immensité. 1. Maintenant que j’ai un loft, je réalise à quel point j’avais été, à la rue, victime de stupidisation : personne, à l’époque, n’aurait imaginé me demander des conseils en placements financiers !… Un immense, on l’écoute, au mieux, quand il parle de l’immensité, jamais quand il parle d’autre chose. 2. La stupidisation des immenses s’ajoute à leur infantilisation et animalisation : voilà les trois fléaux qui les menacent.
- superbenoy : n. Immense qui, fort de son expérience et en dépit de son absence de formation professionnelle, a une connaissance très approfondie de l’immensité, dans ses dimensions juridiques notamment. 1. Et toi, t’es qui ? Jacky, 32 ans, célibataire, architecte et superbenoy. 2. Le plus dur, quand t’es un superbenoy, c’est de pas ridiculiser l’assistante sociale quand elle dit juste n’importe quoi… surtout en public ! NB. Superbenoy rime avec avec casse-noix ou avec cow–boy.
- surdébité·e : adj. et n. Qualifie l’immense placé dans une situation de profond inconfort relationnel, vu l’aide, importante sinon décisive, qui lui a été donnée, sans aucune perspective d’une quelconque réciprocité, fût-ce dans un futur lointain. 1. Le sentiment de surendettement du surdébité est humiliant et peut, chez certains, déclencher une collerrance incontrôlable, qui surprend la première fois, à laquelle on se prépare ensuite. Cela fait partie des risques du métier social. 2. Pour annuler symboliquement sa dette, le surdébité mord la main qui le nourrit. Rien de plus logique et rationnel, foi de surdébité qui se soigne !
- systémologue : n.m : Terme valorisant l’expertise acquise par les immenses, consécutive à leur expérience intime de la bureaucrature et du déclassement sociétal. 1. On est au cœur, peu reluisant, du système, et non dans ses marges comme on le dit ! En comparaison, les escapés restent à la surface, n’ont pas idée de ce qui se cache derrière. Ils sont les profiteurs et nous, les systémologues. Ils planent et nous savons. Et en bavons. Du coup, beaucoup de systémologues finissent « non-alignés ». 2. Les insenséjours sont les meilleurs systémologues : eux seuls peuvent lister les cases que les détenteurs d’une carte d’identité nationale cochent sans le savoir.
- tageduiler : v. Prêter le flanc à des généralisations abusives et dépréciatives. 1. Les immenses tageduilent et ils l’internalisent : ils savent trop bien qu’en se montrant, par exemple, agressifs, sales ou sous influence, les escapés présents se diront en leur for intérieur : « Putain, les immenses, c’est que des violents/pouilleux/tox ! ». 2. En haut de l’échelle sociale, les dysfonctionnements restent des « accidents » circonscrits. Les escapés ne tageduilent pas, ou beaucoup moins : ils jouissent, paradoxalement, d’un plus grand « droit à l’erreur personnelle ».
- templuriesque : adj. Qualifie une situation relative aux immenses dans laquelle se croisent plusieurs acteurs dont les temporalités sont différentes. 1. Pour le CPAS, me trouver un logement temporaire est une question de mois. Pour le politique, construire des logements sociaux est une question d’années. Mais moi, il me faut un lit ce soir ! C’est templuriesque. 2. Le fonctionnement des associations est templuriesque : elles ont des budgets et des subsides annuels, mais travaillent avec des politiques qui visent les prochaines élections et des immenses qui ont besoin d’une douche et d’un repas le jour même.
- ténougner : v. Témoigner de son vécu sans être invité·e, ensuite, à dialoguer avec d’autres, confronter son opinion, engager un débat entre égaux. 1. J’en peux plus de ténougner mais j’adore les masterclass, surtout avec des jeunes. Je sais comment capter leur attention. OK, je raconte ma galère, mais, après, des doigts se lèvent et un vrai échange s’installe. 2. Au Syndicat des immenses, on a hésité entre « ténougner » et « chair-à-témoignage ». Mais on avait déjà chair-à-boulot/subsides/colloque.
- tranquillégal·e : adj. Qualifie une personne qui, bien qu’en situation irrégulière, garde toute sa sérénité. 1. Je ne crains pas d’être contrôlé car j’ai le droit de vivre sur terre, je ne suis pas un envahisseur, n’ai commis aucun délit et ne coûte rien. Ils peuvent m’arrêter mais je n’ai rien à me reprocher. Je suis total tranquillégal ! 2. Pas sûr qu’on rencontre des sans-papiers tranquillégaux dans un pays raciste ou xénophobe.
- transimance : n.f. Errements ou errance observés chez beaucoup d’immenses, en zone urbaine ou non. 1. Les immenses ne sont pas tous, ni tout le temps, en transimance. D’aucuns, d’ailleurs, ne quittent pas une aire bien délimitée et frappent donc par leur immobilisme. 2. Exiger d’un immense, probablement en transimance, des preuves d’attaches territoriales afin d’ouvrir ses droits à un revenu est débile et violent.
- trescapé·e : adj. et n. Qualifie un·e escapé·e dont la probabilité de tomber à la rue est objectivement nulle. 1. OK, « ça peut arriver à tout le monde », je comprends le message. Mais faut pas charrier : aux trescapés, ça n’arrivera pas. Tous les escapés ne sont pas trescapés, mais tous croient l’être. 2. Si vous avez forgé « trescapé·e », vous devriez inventer un adjectif pour les immenses dont la probabilité de sortir de la rue est objectivement nulle, non ?
- tuteller (quelqu’un) : v. Prendre quelqu’un sous son aile à coups de propos et de comportements paternalistes, infantilisants et/ou néocoloniaux, et tôt ou tard moralisateurs. 1. Méfie-toi des âmes charitables aveuglées par leurs « bonnes intentions » : elles te tutellent en moins de deux et tu n’oses pas t’en défaire, de peur de les blesser. 2. Peu à peu, je me suis senti tutellé par cette éducatrice, alors qu’elle pourrait être ma fille ! J’ai claqué la porte.
- udéskif : n.f. (acronyme approximatif d’Universalisation De Ce Qui Fonctionne). Universalisation de ce qui fonctionne et, concomitamment, désinvestissement progressif, ou abandon pur et simple, de ce qui fonctionne trop rarement ou pas du tout. 1. Au sein du secteur du sans-chez-soirisme, l’udéskif est aussi précis que simple, car seuls deux dispositifs fonctionnent et, comme par hasard, le (re)logement y occupe une place centrale : A) ledit « modèle ukrainien » mis au point avec une efficacité remarquable en faveur des réfugiés ukrainiens et B) le programme Housing First réservé, pour rappel, aux personnes présentant un double diagnostic, problèmes de santé mentale et d’assuétude. Et ces dispositifs sont aux deux extrémités du spectre, puisqu’ils concernent A) des escapés venant de tomber dans l’immensité et B) les immenses les plus fracassés, désaffiliés, détériorés par la rue. On sait donc maintenant comment s’y prendre. Plus d’excuses ! Priorité à l’udéskif ! 2. être orienté udéskif, c’est dire, d’un côté, « Pas question de tomber à la rue ! » et, de l’autre, « Pas question d’y rester ! »
- vacances : n.f. (acronyme de Vocable Absolument Cruel pour des Anonymes Non-éligibles à des Congés Extrêmement Souhaitables). Vacances. 1. Que les escapés le sachent, y a des mots, comme « vacances », qui nous font mal aux oreilles, à nous les immenses ! 2. En acronymisant « vacances », le Syndicat des immenses indique que tout le monde, à commencer par les immenses, a besoin de vacances.
- ventricliquer (quelqu’un) : v. Faire des démarches en ligne à la place de quelqu’un. 1. La société digirectale qui se met en place va conduire des milliers de numériphobes à être ventricliqués par leurs proches ou par des travailleurs sociaux. 2. Ventricliquer quelqu’un, c’est lui faire perdre son autonomie et, bien souvent, violer sa vie privée.
- ventriloquer (quelqu’un) : v. Parler de la personne et détailler sa situation, ses besoins voire ses opinions, en sa présence et sans lui demander son avis. 1. Oups, désolé, j’allais te ventriloquer… Tu racontes ton aventure incroyable ? Je ne dis plus rien, promis. On t’écoute. 2. Entre professionnels, j’avoue, on ventriloque très vite. Pour gagner du temps aussi. Et rares sont les bénéficiaires qui protestent.
- verbiolence : n.f. Propos extrêmement violent adressé à une personne prise dans un rapport de force très défavorable. 1. « Pas content ? Tant pis, c’est comme ça ! », ou « Pas content ? Allez voir ailleurs ! », ou encore « Pas content ? Portez plainte ! » Ces exemples de verbiolence sont le quotidien de beaucoup d’immenses. 2. Chaque fois que j’ai été victime de verbiolence, la personne, en face, clairement, se sentait toute-puissante.
- viol-au-vent: n.m. Viol commis dans l’espace public. 1. Des escapées aussi ont été victimes de « viol-au-vent », mais que ce soit des immenses qui aient ressenti la nécessité de forger le mot n’est pas fortuit. 2. Je ne sais pas combien j’en ai subi. Mais ils sont de deux sortes : les viol-au-vent caractérisés et ceux dont tu ne prends totalement conscience qu’après coup. Ça a eu lieu et, en fait, tu ne le voulais absolument pas.
- violonner : v. Raconter pour la millième fois tout ou partie de sa vie. 1. À force de violonner, tu brodes un peu, noircis au besoin le tableau, répètes telles quelles des phrases que tu connais par cœur. 2. Un jour, fatiguée de devoir violonner, j’ai vraiment raconté n’importe quoi. Ça n’a pas fait avancer le schmilblick, mais j’en rigole encore. NB. Ce nouveau sens du mot s’ajoute au sens musical du mot.
- vulnéré·e : adj. Qualifie une personne qui, brisée, défaite, cassée, diminuée, n’est plus que l’ombre d’elle-même. 1. Vulnérable, tu es fragile. Vulnéré, tu es foutu. Un mec vulnéré ne vivote pas sous le cynique « seuil de risque de pauvreté », mais sous le « seuil de pauvreté », point barre. 2. On ne travaille pas avec les personnes vulnérables comme avec les vulnérées. Pour ces dernières, on est davantage dans le palliatif : zéro objectif, juste être là.
- yoyoter (quelqu’un) : v. Balader quelqu’un d’un service social (ou d’un travailleur social) à un autre, parsemer les démarches administratives d’allers-retours ou les multiplier à l’envi. 1. Pourrais-je avoir un rendez-vous ? Mais pas pour me faire de nouveau yoyoter, hein ? Soyons clair ! 2. Ils croient qu’on les yoyotent pour le plaisir mais c’est le système qui veut ça. C’est pas de gaité́ de cœur ! NB. Cet usage transitif du verbe s’ajoute à son usage intransitif.
- yakrézut : interj. Exprime, avec un mélange de lassitude, de reproche et de condescendance, le fait qu’il eût fallu faire ceci ou suffi de ne pas faire cela pour éviter telle situation inextricable. 1. Yakrézut, madame ! Comment avez-vous « oublié » ce rendez-vous ! On est bien, maintenant… 2. Tu es juste exaspérant, yakrézut ! Y avait qu’à aller à la commune avant jeudi. Maintenant, c’est foutu.
- zéritoire (pour les immenses) : n.m. Territoire zéro-immense, c’est−à-dire où tout le monde dispose d’un authentique chez-soi. 1. La Région de Bruxelles-Capitale sera-t-elle, comme le prescrit l’Union européenne, un zéritoire pour les immenses en 2030 ? C’est très mal parti. 2. Le mot se décline aisément pour d’autres franges de la population. Dans un « zéritoire pour les femmes », elles peuvent se déplacer en toute sécurité. Dans un « zéritoire pour les PMR », tous les lieux publics sont accessibles pour les personnes à mobilité réduite. Etc.
- ZIR : n.f. (acronyme de Zone d’Inconditionnel Respect). Lieu où l’immense est toujours bienvenu·e, est accueilli·e avec respect, peut au moins accéder gratuitement aux toilettes et recevoir un verre d’eau. 1. Va pour un verre, mais pas là, crois-moi, on ne passera pas la porte. Mais je connais une ZIR pas loin. 2. Faudrait une carte, ou une appli, avec tous les commerces ou espaces culturels qui sont des ZIR. Tel est mon désir !
* Peu importe, ici, si Camus n’a pas exactement dit ça.
NB. Tous les mots du Thésaurus de l’immensité ont été créés et/ou validés lors de réunions du Syndicat des immenses. La philosophe Simone Weil n’a plus de mouron à se faire, qui écrivait en 1950 : « Le malheur est par lui-même inarticulé. Les malheureux supplient silencieusement qu’on leur fournisse des mots pour s’exprimer. Il y a des époques où ils ne sont pas exaucés. Il y en a d’autres où on leur fournit des mots, mais mal choisis, car ceux qui les choisissent sont étrangers au malheur qu’ils interprètent. » (in La Personne et le sacré, éd. Allia, p.41)